En CRA, sans traitement contre le VIH, Joes est menacé d’expulsion
Depuis deux mois, l’homme de 23 ans est retenu au CRA de Cornebarrieu (Haute-Garonne), où il n’a pas reçu son traitement contre le VIH. Les associations demandent une réévaluation de son dossier. Politis a pu le joindre.

© Pauline Migevant
Sa voix est affaiblie, quasi inaudible. Il semble épuisé. Joes est arrivé en France à l’âge de 11 ans, puis a été adopté par sa grand-mère. Il en a 22 aujourd’hui. Toute sa vie est ici. Il est allé au collège puis au lycée dans le Nord, a fait deux ans d’école d’art puis a multiplié les petits boulots, dans la restauration et la vente. Entre-temps, il apprend qu’il est atteint du VIH. Il aurait dû déposer son acte de naissance à ses 18 ans pour être officiellement régularisé mais il a oublié et puis le covid-19 est arrivé et les administrations sont restées fermées. Il reçoit une OQTF (obligation de quitter le territoire français).
« Je n’ai pas pris ça vraiment sérieux. Au lieu de la contester, j’ai préféré travailler, faire profil bas, en pensant que les choses allaient s’arranger », souffle le jeune homme. « Si mon acte de naissance avait été déposé, ils auraient pu m’enregistrer à l’état civil et je serais français. » À partir de là, tout se dégrade. L’homme, retenu au centre de rétention administrative (CRA) de Cornebarrieu, près de Toulouse, devait être expulsé en avion lundi 23 juin vers son pays d’origine en République démocratique du Congo (RDC). Un pays qu’il ne connaît pas.
Arrêt des aides internationales
Pour ne pas être renvoyé, la Cimade lui conseille alors de demander l’asile en urgence à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). L’objectif est une réévaluation de son dossier. Un nouvel élément a été ajouté, comme l’explique Julie Aufaure, chargée de la rétention à la Cimade : « La prise en charge des personnes atteintes du VIH en RDC est un peu mieux qu’avant. Mais le doute est revenu avec la décision des États-Unis de retirer son aide internationale, notamment sur les questions de santé. »
Il y a de plus en plus de refus de séjour de personnes étrangères vivant avec le VIH.
A. Cornec
C’est le programme Pepfar (President’s Emergency Plan for AIDS Relief), qui finançait une très grande partie de l’accès au traitement dans les pays en développement – et notamment en RDC –, avec près de 54 %. Or « cette décision n’est pas encore mesurable, actuellement mais sur le terrain, il y a de fortes inquiétudes. Et les personnes professionnelles des terrains savent que ça va devenir un réel problème très très très rapidement », continue Julie Aufaure.
Une inquiétude partagée par Adrien Cornec, chargé de mission pour l’association de lutte contre le sida Aides. Il explique pourtant que depuis 1990, un droit au séjour pour raison médicale existe en France. « Mais depuis quelques années, il est remis en question par les autorités. On voit qu’il y a de plus en plus de refus de séjour de personnes étrangères vivant avec le VIH. Et notamment des personnes qui se sont fait refuser le séjour suite à des demandes de renouvellement. C’est-à-dire des personnes qui sont là depuis plusieurs années. »
Et d’ajouter : « Les personnes se retrouvent alors du jour au lendemain en situation irrégulière avec une obligation de quitter le territoire français pour aller dans un pays dans lequel elles ne vivent pas depuis longtemps et ne sont pas assurées d’avoir d’avoir accès aux soins. »
« On a été rejetés partout »
Julie Aufaure l’avoue : la situation de Joes est compliquée. « On a été rejetés partout, malheureusement, puisque les autorités préfectorales et la Cour européenne des droits de l’homme se basent sur la décision du médecin de l’Office, qui dit que le traitement existe. »
Ils ont failli me mettre dans l’avion, dans cet état, sans que j’aie eu le traitement…
Joes
Joes, lui, « espère du fond du cœur » une réponse positive de l’Ofpra. D’autant plus qu’il subit des moqueries au centre de rétention depuis son arrivée le 6 avril. Le secret médical a été rompu. « Harcèlement moral et physique » que ce soit de la part « des officiers ou des retenus ». Selon lui, les officiers du CRA propageraient l’information à toutes les personnes du centre. Certains ont pitié, d’autres en rigoleraient. Son co-retenu ajoute que cette stigmatisation est récurrente.
À part son compagnon de chambre avec qui il discute, le jeune homme s’est renfermé sur lui-même. « Ça reste vraiment un monde de loups ici. Je préfère me retrouver seul dans mon coin. Les gens peuvent se battre pour un bout de pain ou pour une simple cigarette. C’est une honte », décrit Joes.
Plus grave encore, il assure n’avoir jamais reçu son traitement depuis son arrestation. À son arrivée, il a effectué une prise de sang puis quinze jours après, un bilan. Mais depuis, silence radio. « Ils ont failli me mettre dans l’avion, dans cet état, sans que j’aie eu le traitement… » Étant séropositif, il est indispensable qu’il prenne ses médicaments tous les jours. L’absence de traitement peut entraîner de graves effets sur sa santé comme une baisse de son immunité, le rendant extrêmement vulnérable aux autres maladies. Un cas « à la limite de la légalité » selon l’employée de la Cimade qui assure cependant que la procédure est longue et suit son cours.
Une mobilisation encore possible
Si la demande d’asile est rejetée ou jugée irrecevable, Julie Aufaure prévoit de saisir la cour nationale du droit d’asile (CNDA) en appel et demander au tribunal administratif de suspendre l’expulsion jusqu’à ce que ladite cour rende sa décision, mais « c’est un peu la dernière dernière des solutions pour lui », souffle-t-elle.
On n’expulse pas des gens qui ne peuvent pas être soignés dans leur pays.
A. Souyris
Adrien Cornec se dit très inquiet face à « ces refus de séjour et de leurs accommodations ». Aides et les autres associations demandent l’application de l’arrêté du 5 janvier 2017, dans lequel il est stipulé que « dans l’ensemble des pays en développement, il n’est donc pas encore possible de considérer que les personnes séropositives peuvent avoir accès aux traitements antirétroviraux ni à la prise en charge médicale nécessaire pour tous les porteurs d’une infection par le VIH dès le diagnostic ».
Le chargé de mission de Aides a alerté la sénatrice Anne Souyris. L’élue écologiste a alors envoyé des courriers aux préfets des Pyrénées et de Haute-Garonne mais aussi directement au ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. « On n’expulse pas des gens qui ne peuvent pas être soignés dans leur pays. Il y a quand même une question politique derrière », précise-t-elle à Politis.
Selon la sénatrice, c’est une véritable « peine de mort » pour Joes compte tenu de l’arrêt des financements internationaux. La sénatrice va plus loin que le cas individuel et demande une automatisation pour toutes les personnes qui pourraient être concernées : « Il devrait y avoir une circulaire (…). Il faut que ce soit aussi un cas d’école pour gérer cette situation. »
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