« La Ville » : qui sont vraiment les zombies ?

Le dessinateur Nicolas Presl s’approprie le mythe des morts-vivants.

Marius Jouanny  • 11 juin 2025 abonné·es
« La Ville » : qui sont vraiment les zombies ?

La Ville / Nicolas Presl / Atrabile, collection « Flegme », 312 pages, 27 euros.

Emporté par le courant, un cadavre dérive près de la vedette d’un jeune couple de riches désœuvrés. De quoi gâcher la baignade des deux insouciants tourtereaux qui vivent au sein d’un archipel de villas flottantes. Au loin, une fumée noire s’échappe de la ville côtière la plus proche – encore une émeute de morts-vivants réprimée dans le sang par des tanks et des drones de combat qui sillonnent les quartiers populaires. Sur plus de trois cents pages de bande dessinée muettes en noir et blanc, Nicolas Presl développe un univers urbain dystopique, où les hôtels de luxe se protègent grâce à des miradors et des milices anti-zombies.

Peu à peu, le récit explicite les conflits sociaux brutaux qui restent des impensés dans tant de récits de zombies hollywoodiens. Ces derniers évitent toujours de répondre à une question pourtant simple : que représentent ces monstres et la peur qu’ils suscitent ?

Dans La Ville, les morts-vivants se révèlent des individus exploités et déshumanisés, mais également craints pour leurs différences culturelles et religieuses. En filigrane d’une narration haletante et spectaculaire, Nicolas Presl donne corps aux concepts de racialisation et d’exclusion sociale. Coutumier des paraboles politiques, le dessinateur a déjà porté une réflexion critique sur les représentations coloniales dès ses premiers ouvrages, de Divine Colonie à Orientalisme.

Origines contestataires

On pourrait regretter que le personnage principal du récit ne soit pas un des zombies révoltés par leur condition misérable. Mais la focalisation sur le point de vue de ce couple de bourgeois déconnecté permet justement d’ausculter leur perception des morts-vivants, empreinte de terreur et de dégoût envers toute forme d’altérité.

En revenant aux origines contestataires du genre zombie inauguré par le cinéaste George A. Romero, Nicolas Presl ajoute une pierre à l’édifice de son œuvre, où les symboles pallient l’absence de texte. Cette forme de narration universelle puise aussi sa source dans la tradition des romans en gravures, en particulier La Ville de Frans Masereel, publié il y a précisément un siècle. Ces deux livres au même titre portent un regard comparable sur la vie urbaine, ses inégalités et ses phases de frénésie qui jettent tout un chacun dans la rue pour battre le pavé.

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Littérature
Temps de lecture : 2 minutes