« Mon Retailleau à moi »

D’une amitié de jeunesse tissée avec un dénommé Retailleau à ses premiers souvenirs d’un autre, dont la carrière politique a démarré sous les auspices de Philippe de Villiers, en Vendée, l’écrivain Patrice Robin, originaire de ce territoire puise dans ses souvenirs pour en livrer quelques fragments.

• 18 juin 2025
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« Mon Retailleau à moi »
© Ankit Manohoran / Unsplash

L’un de mes meilleurs amis en classe de terminale s’appelait Retailleau. Il habitait, qui plus est, dans le petit bourg de Vendée où a grandi l’actuel ministre de l’Intérieur, mais était né, comme moi, sept ans avant ce dernier. Peut-être étaient-ils cousins, je ne saurais le dire et, l’ayant perdu de vue, ne peux lui poser la question.

Mon Retailleau à moi se prénommait Luc, était un peu rondouillard, fort sympathique. J’appréciais sa compagnie, même en dehors du temps scolaire. Je l’avais rencontré à l’institution Sainte-Marie à Cholet, où j’ai suivi mes études secondaires. Bruno Retailleau (B. R.) les a faites, lui, à Saint-Laurent-sur-Sèvre chez les frères de Saint-Gabriel. Mes parents avaient hésité entre les deux. Pas moi.

Je n’avais aucune envie de me retrouver dans ce qui semblait, vu de la route nationale qui conduisait de Nantes à Poitiers et plus précisément d’un lieu-dit nommé, ça ne s’invente pas, La Trique, une véritable caserne, située loin de tout, contrairement à Sainte-Marie, implantée en plein centre d’une sous-préfecture à deux pas des cinémas et des cafés. Et puis c’était un peu moins catho du côté de Sainte-Marie, disait-on, et surtout mixte en classe de terminale, ce qui n’était pas le cas chez les frères.

J’ai vu B. R. pour la première fois, sans le savoir, à la toute fin des années 1970, puisque, pour faire plaisir à ma mère, je l’avais emmenée au Puy du Fou, où était donné Ce soir la Vendée, le son et lumière créé par Philippe de Villiers, spectacle auquel B. R., passionné d’équitation, ai-je appris via Wikipédia, participait en tant que cavalier bénévole.

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Donc, parmi ceux déboulant ce soir d’août au grand galop sur la droite d’un étang dont sortirait lentement une heure plus tard une imposante croix sur fond de château en feu, il y avait probablement B. R. Je garde aussi en mémoire l’image des gradins emplis de milliers de personnes, les épaules recouvertes d’un sac-poubelle, celui fourni à l’entrée pour se protéger éventuellement de la petite pluie fine de l’Ouest qui menaçait depuis la fin de l’après-midi, ce crachin dont parle Jean Rouault dans Les Champs d’honneur.

Un sentiment de bonheur partagé, d’une acceptation respectueuse de nos différences (…) Des souvenirs très loin de Bruno Retailleau.

J’ai un autre souvenir relatif à B. R. Mauléon (Deux-Sèvres), le gros bourg de l’Ouest où j’ai grandi, est considéré comme la capitale de la Vendée militaire. J’y ai vécu les sept premières années de ma vie en face d’une colline nommée mont Gaillard, d’où l’on a un très beau point de vue sur la petite ville. Je ne manquais jamais, devenu adulte, quand je rendais visite à mes parents, d’aller y faire un tour, balade gâchée à partir de l’année 1993 par l’affreux mémorial (une imposante croix – encore – accompagnée d’une sculpture représentant trois chouans courts sur pattes) qu’y a fait ériger Philippe de Villiers pour célébrer les combats ayant opposé deux cents ans plus tôt les républicains aux royalistes.

Lors de l’inauguration, Philippe de Villiers était, m’a-t-on dit, accompagné d’Alain Delon. Je ne sais si B. R. était présent. Il l’était en tout cas, probablement, en pensée, puisque devenu quatre ans plus tôt président de la société anonyme gérant le parc d’attractions du Puy du Fou et à l’aube de sa carrière politique sous les auspices dudit Villiers.

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On sait aujourd’hui où cette dernière l’a menée, on connaît ses propos sur l’immigration, sa proximité sur ce sujet avec l’extrême droite. Ce qui me fait penser à un autre souvenir de mes années dans les Deux-Sèvres, celui de nombreuses et belles soirées passées avec trois jeunes hommes ayant quitté leur Maroc pour venir construire les maisons de Mauléon et des alentours, celui surtout du mariage au pays de l’un d’entre eux. Nous y avions été invités, l’un de mes amis et moi.

Je me souviens encore de la petite maison de Settat, au sud de Casablanca, où nous avions été chaleureusement accueillis, des trois pièces disposées autour de la minuscule cour intérieure, de celle qu’on nous y avait réservée, le reste de la famille s’entassant dans les deux autres. Je conserve surtout de cette semaine de préparation de la fête, de la fête elle-même, un sentiment de bonheur partagé, d’une acceptation respectueuse de nos différences, d’amitié fraternelle, des souvenirs décidément, loin, très loin de B. R.

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