Collectif des jeunes de Belleville : deux personnes interpellées suite à une plainte de Némésis

Deux hommes ont été placés en garde à vue après des plaintes du collectif fémonationaliste, venues perturber un meeting organisé contre les OQTF. Dix jours après les faits, les témoins dénoncent la coopération entre les militantes d’extrême droite et la police lors des interpellations.

Pauline Migevant  et  Élise Leclercq  • 7 juin 2025 abonné·es
Collectif des jeunes de Belleville : deux personnes interpellées suite à une plainte de Némésis
Après l'expulsion des jeunes de Belleville de la Gaîté lyrique, le 18 mars 2025.
© Maxime Sirvins

Mardi 27 mai, le collectif des jeunes du parc de Belleville organisait un meeting unitaire à la Bourse du Travail contre les 25 obligations de quitter le tyerritoire français (OQTF) qui ont été prononcées à la suite de l’expulsion de la Gaîté lyrique. Mais à 18 h 30, quand aurait dû commencer le meeting, huit militantes de Némésis, collectif d’extrême droite, accompagnées de deux journalistes de Valeurs actuelles, sont venues faire une incursion. Pancartes et banderoles racistes à la main, elles se sont alors avancées vers l’entrée où plusieurs soutiens des jeunes attendaient le début des prises de parole.

Sur l’une des vidéos largement partagées par l’extrême droite et notamment sur CNews, on voit des militants de gauche tenter de récupérer les pancartes de Némésis. L’un d’eux crie : « Dégagez les fachos ! Les fascistes dehors ! ». Ils les repoussent un peu plus loin dans le boulevard. Dans la cohue, un militant avec des gants donne un coup.

« J’ai craqué, j’ai mis un coup de pied dans la jambe à un des deux mecs que j’identifiais comme le service d’ordre de Némésis. C’était vraiment une faute de ma part, contraire aux consignes que moi-même j’appliquais et que je faisais appliquer aux autres », explique Nathan, soutien de longue date du collectif, une semaine après les faits.

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Un autre membre du service d’ordre ce soir-là témoigne du climat de tensions lié aux actions d’extrême droite visant les jeunes de la Gaîté lyrique : « C’est leur stratégie habituelle de provocation qui nous a conduits à mettre un service d’ordre. L’idée n’est pas de les taper, mais de les repousser et de chanter des slogans. »

« Fasciste de merde »

Nathan est arrêté par la police à 18 h 35 boulevard Magenta, soit cinq minutes après l’arrivée des militantes fémonationalistes sur place, par la police municipale. Il raconte qu’après avoir été fouillé, la police nationale a pris le relais. Pendant ce temps, les militantes de Némésis sont restées discuter avec les policiers présents sur place.

« Une collusion flagrante », selon Nathan, entre la police et les militantes d’extrême droite. « J’ai dit aux forces de l’ordre que je faisais partie du service d’ordre en lien avec la sécurité de la Bourse du Travail, qui sont des agents de la ville de Paris et qui vous le confirmeront. On a juste repoussé des gens. Ils ont répondu : “Non, non, vous n’allez pas nous apprendre à faire notre travail”. »

Ils ne se cachaient pas du fait qu’ils détestaient la gauche, que la France ne pouvait pas continuer à accueillir des migrants.

Nathan

Il n’a d’abord pas souhaité donner son identité et a été embarqué par la police. Il explique que pendant ce temps les militantes lui auraient fait des signes de la main : « Elles me narguaient ». S’ensuit une garde à vue reconduite après 24 heures. Il assure avoir subi des insultes de la part d’un policier en civil le traitant de « petit connard », « fasciste de merde » ou encore « va te faire enculer » sous le regard de ses collègues ainsi que de nombreuses remarques sur son engagement politique. « Ils ne se cachaient pas du fait qu’ils détestaient la gauche, que la France ne pouvait pas continuer à accueillir des migrants », raconte Nathan. Plus grave, il n’a pu voir un médecin que 20 heures après son arrivée, ne lui permettant pas de suivre son traitement correctement.

Némésis porte plainte

Pendant ce temps-là, Némésis annonce sur Twitter avoir porté plainte contre X pour « violences volontaires en réunion ». En tout, trois personnes ont déposé plainte contre Nathan pour violences mais lui assure n’avoir porté qu’un seul coup de pied à l’un des journalistes de Valeurs actuelles. Un déversement de réactions et de posts a suivi, donnant noms, prénoms, photos, lieu d’étude de Nathan – soit du doxxing, c’est-à-dire divulgation de données personnelles. Depuis, il reçoit « des insultes et des menaces » et réfléchit aujourd’hui à engager une action pour doxxing et cyberharcèlement.

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Le climat de tension en garde à vue est également remarqué par la députée Sandrine Rousseau. Le lendemain de l’interpellation, mercredi 28 mai, elle exerce son droit de visite parlementaire dans le commissariat du XIIIe arrondissement. « J’ai été filmée par la police pendant la visite, je ne sais pas si c’est légal. Ils m’ont dit qu’au moindre incident ce serait envoyé au procureur. Ça ne s’est jamais produit alors que j’ai visité des centaines de personnes en garde à vue. J’ai eu interdiction de parler à la personne, je l’ai vue derrière la vitre. »

Deuxième arrestation

Un autre militant est arrêté le soir même à la Flèche d’or, une salle du XXe arrondissement. La police intervient alors qu’une soirée contre l’islamophobie s’apprête à débuter. L’une des militantes de Némésis, présente dans le quartier ce soir-là, aurait montré des documents aux policiers juste avant leur intervention dans le lieu culturel.

« Si on arrête quelqu’un, c’est qu’il y a une bonne raison, ce n’est pas pour des faits anodins. On a même le droit de défoncer des portes », aurait répondu l’un des policiers aux personnes qui demandaient la raison de l’interpellation. L’arrestation est en lien avec la plainte déposée la veille par Némésis. Contacté par Politis, le collectif n’a pas voulu répondre à nos questions. Lui, sort de garde à vue le lendemain après-midi.

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Pour les proches de la personne interpellée, il s’agit d’une dénonciation abusive : « C’est quand même hallucinant que quelqu’un qui n’a rien fait, peut être arrêté juste après qu’une autre personne a fait une dénonciation calomnieuse », s’émeut un des soutiens présents devant le commissariat le lendemain.

C’est le rapport privilégié de Némésis avec la police qui a permis les arrestations.

Alors que la manifestation a lieu, une militante de Némésis attend devant le commissariat avant d’y entrer. Certains militants pensent l’avoir vue les désigner du doigt, il y a une anxiété parmi eux sur le fait d’être désormais identifiés par l’extrême droite. « C’est le rapport privilégié de Némésis avec la police qui a permis les arrestations », dénonce un militant au mégaphone.

Un représentant du SNES-FSU parle d’une période rappelant « les heures sombres de notre histoire ». Une membre du collectif des jeunes de Belleville tient à rappeler le contexte. « Cette arrestation est dans le sillage de la répression subie depuis l’expulsion de la Gaîté lyrique. » L’expulsion violente du lieu culturel occupé par les jeunes de Belleville en mars dernier avait conduit à l’édiction de 25 OQTF, aujourd’hui contestées.

« Ils n’imaginent pas notre détermination, on se bat pour nos droits »

Au tribunal de Paris, vendredi 29 après-midi avait lieu l’audience de Nathan. La salle est comble, une cinquantaine de soutiens se serrent sur les bancs en bois. Au moins deux membres de Némésis sont également présentes. Pendant la suspension d’audience, l’une d’elles rejoint un groupe de policiers.

L’accusé entre dans le box, visage fermé. Il demande le renvoi de la procédure avec son avocate Me Mertzweiller. En attendant son audience en août, il est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de manifester. Pour lui, cette affaire ne doit pas masquer le fond : « Si on est ciblé comme ça, c’est aussi parce qu’on mène une lutte qui prend de l’ampleur, qui est connue et identifiée comme une lutte centrale dans l’antiracisme aujourd’hui en France. »

Un avis que partage Mamadou, délégué du collectif des jeunes de Belleville : « Certes, Némésis est ultra-préparé : elles provoquent puis sortent directement leur caméra et montrent ce qui les arrange. » Mais selon lui, leur lutte reste intacte : « Ce sont des jeunes qui ont connu l’enfer. Traverser la mer est bien plus dur que ça. Ils n’imaginent pas notre détermination, on se bat pour nos droits. »

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