Claire Hédon : « En Guyane, le droit d’asile n’est pas respecté »

Dans la région d’outre-mer, les demandeurs d’asile attendent jusqu’à deux ans pour accéder à un simple rendez-vous en préfecture, légalement censé être obtenu sous trois jours. La Défenseure des droits, Claire Hédon, dénonce des atteintes aux droits fondamentaux et appelle les acteurs locaux à saisir son institution.

Tristan Dereuddre  • 11 juin 2025 abonné·es
Claire Hédon : « En Guyane, le droit d’asile n’est pas respecté »
© Tristan Dereuddre

Ancienne journaliste à RFI, Claire Hédon a été nommée Défenseure des droits en juillet 2020 par le président de la République. À la tête de cette autorité constitutionnelle, elle veille au respect des droits et libertés par les administrations. Elle lutte aussi contre les discriminations et défend les droits des enfants, des usagers des services publics et des lanceurs d’alerte. En février 2023, elle critique ouvertement le projet de loi immigration du gouvernement Borne, estimant qu’il « fragiliserait considérablement les droits et libertés fondamentaux des étrangers ». Juridiquement indépendante du pouvoir exécutif, l’institution qu’elle dirige peut être saisie gratuitement par tout citoyen ou association.

L’institution du Défenseur des droits est-elle au fait de la situation des demandeurs d’asile en Guyane, qui attendent parfois deux ans leur rendez-vous en préfecture ?

Claire Hédon : Nous sommes alertés sur les délais de traitement des demandes d’asile. Les prises de rendez-vous s’étendent à plus de six mois, quand ce n’est pas un an ou plus. Il y a eu une très forte augmentation des demandes, c’est indéniable. Et la préfecture est en difficulté, faute de personnel suffisant pour les traiter. Nous sommes alertés mais pas saisis. L’un des enjeux de notre déplacement en Guyane est aussi de guider les travailleurs sociaux vers nous pour qu’ils puissent nous saisir. Les demandeurs d’asile ont besoin d’être ­accompagnés par des associations, il leur faut un suivi. Mais l’institution du Défenseur des droits a besoin d’être saisie pour pouvoir enquêter et comprendre quelles sont les difficultés.

(Photo : Miguel Medina/AFP.)

Ces dysfonctionnements administratifs représentent-ils une atteinte aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile ?

L’asile est un droit absolument fondamental en France. À partir du moment où vous ne pouvez pas déposer votre demande d’asile et où elle ne peut pas être traitée, votre droit au bénéfice de l’asile n’est pas respecté. C’est une atteinte aux droits, il n’y a aucun doute. Comme dans d’autres situations, l’institution constate l’écart entre le droit annoncé et son effectivité.

Sur le même sujet : En Guyane, le chemin de croix des réfugiés 

Un nombre important de demandeurs d’asile issus de la communauté haïtienne vivent dans des logements informels ou des bidonvilles, avec tous les dangers qui peuvent en découler (incendies, maladies, insécurité). Il y a une accumulation des difficultés en matière de structures d’accueil. Si vous étiez saisie sur cette question, quels seraient vos leviers ?

On se pencherait sur la question du droit à l’hébergement. Cette situation est révélatrice des lacunes de l’accueil et de la prise en charge des demandeurs d’asile.

La Cimade a dénoncé l’existence d’expulsions de réfugiés haïtiens depuis le centre de rétention administratif (CRA) de Guadeloupe. Celles-ci sont illégales depuis une décision de la Commission nationale du droit d’asile (CNDA) de décembre 2023.

Nous avons été alertés sur cette question mais, là encore, nous avons besoin d’être saisis pour agir. Nous pouvons l’être par des avocats qui interviennent en CRA, comme c’est le cas à Mayotte.

Sur le même sujet : En Guyane, éducation option coloniale

Ces difficultés observées en Guyane sont-elles dues à un manque de moyens administratifs ou s’inscrivent-elles dans un contexte plus national et politique ?

Pour que l’accès aux droits soit respecté dans les services publics, il faut des agents.

L’augmentation des demandes a mis la préfecture en difficulté, ce qui explique les retards. Le problème est qu’on n’arrive pas à traiter l’intégralité des dossiers. Je n’ai jamais pensé que c’était volontaire. La préfecture est elle-même mise à mal par ce manque de moyens humains. Pour que l’accès aux droits soit respecté dans les services publics, il faut des agents.

Des associations y voient pourtant un lien avec la conjoncture politique actuelle.

Il ne fait pas de doute qu’il y a une réticence à délivrer des titres de séjour, sur les premières demandes par exemple. Et certains non-renouvellements de titres n’ont tout simplement pas de sens. Sur les délais, c’est plutôt un manque de moyens humains qu’il faut pallier.

Tout Politis dans votre boîte email avec nos newsletters !

Pour aller plus loin…

Guyane : l’interminable attente des réfugiés haïtiens
Enquête 11 juin 2025 abonné·es

Guyane : l’interminable attente des réfugiés haïtiens

À Cayenne, des ressortissants d’Haïti fuient l’effondrement de leur pays. Face à des délais de traitement de leur dossier démesurés, leurs demandes d’asile et leurs vies sont suspendues à une administration débordée.
Par Tristan Dereuddre
« Les idées d’extrême droite arrivent à prendre sur des territoires de la Résistance »
Entretien 10 juin 2025 abonné·es

« Les idées d’extrême droite arrivent à prendre sur des territoires de la Résistance »

Alors que des groupuscules d’extrême droite annoncent un rassemblement discret à Châteaubriant, le collectif Réveillons la Résistance organise une contre-mobilisation citoyenne le 14 juin. Entretien avec une de ses militantes.
Par Juliette Heinzlef
Contre-manifestation antifasciste à Montargis : « Si jamais on se tait, tout est perdu »
Reportage 10 juin 2025 abonné·es

Contre-manifestation antifasciste à Montargis : « Si jamais on se tait, tout est perdu »

À Montargis, petite ville du Loiret, le calme habituel a laissé place à un front populaire. Le 9 juin 2025, un cortège de 4 000 personnes a défilé contre la tenue d’un meeting d’extrême droite rassemblant Marine Le Pen, Jordan Bardella, Viktor Orbán et Matteo Salvini.
Par Thomas Lefèvre
Mineurs non accompagnés : après la répression policière, la répression administrative
Justice 7 juin 2025

Mineurs non accompagnés : après la répression policière, la répression administrative

Après l’expulsion de la Gaîté lyrique en mars, 23 jeunes ont reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Une répression vivement dénoncée par le collectif des jeunes du parc de Belleville. Vendredi 6 juin avaient lieu les premières audiences au tribunal administratif.
Par Élise Leclercq