Claire Hédon : « En Guyane, le droit d’asile n’est pas respecté »
Dans la région d’outre-mer, les demandeurs d’asile attendent jusqu’à deux ans pour accéder à un simple rendez-vous en préfecture, légalement censé être obtenu sous trois jours. La Défenseure des droits, Claire Hédon, dénonce des atteintes aux droits fondamentaux et appelle les acteurs locaux à saisir son institution.

Ancienne journaliste à RFI, Claire Hédon a été nommée Défenseure des droits en juillet 2020 par le président de la République. À la tête de cette autorité constitutionnelle, elle veille au respect des droits et libertés par les administrations. Elle lutte aussi contre les discriminations et défend les droits des enfants, des usagers des services publics et des lanceurs d’alerte. En février 2023, elle critique ouvertement le projet de loi immigration du gouvernement Borne, estimant qu’il « fragiliserait considérablement les droits et libertés fondamentaux des étrangers ». Juridiquement indépendante du pouvoir exécutif, l’institution qu’elle dirige peut être saisie gratuitement par tout citoyen ou association.
L’institution du Défenseur des droits est-elle au fait de la situation des demandeurs d’asile en Guyane, qui attendent parfois deux ans leur rendez-vous en préfecture ?
Claire Hédon : Nous sommes alertés sur les délais de traitement des demandes d’asile. Les prises de rendez-vous s’étendent à plus de six mois, quand ce n’est pas un an ou plus. Il y a eu une très forte augmentation des demandes, c’est indéniable. Et la préfecture est en difficulté, faute de personnel suffisant pour les traiter. Nous sommes alertés mais pas saisis. L’un des enjeux de notre déplacement en Guyane est aussi de guider les travailleurs sociaux vers nous pour qu’ils puissent nous saisir. Les demandeurs d’asile ont besoin d’être accompagnés par des associations, il leur faut un suivi. Mais l’institution du Défenseur des droits a besoin d’être saisie pour pouvoir enquêter et comprendre quelles sont les difficultés.
Ces dysfonctionnements administratifs représentent-ils une atteinte aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile ?
L’asile est un droit absolument fondamental en France. À partir du moment où vous ne pouvez pas déposer votre demande d’asile et où elle ne peut pas être traitée, votre droit au bénéfice de l’asile n’est pas respecté. C’est une atteinte aux droits, il n’y a aucun doute. Comme dans d’autres situations, l’institution constate l’écart entre le droit annoncé et son effectivité.
Un nombre important de demandeurs d’asile issus de la communauté haïtienne vivent dans des logements informels ou des bidonvilles, avec tous les dangers qui peuvent en découler (incendies, maladies, insécurité). Il y a une accumulation des difficultés en matière de structures d’accueil. Si vous étiez saisie sur cette question, quels seraient vos leviers ?
On se pencherait sur la question du droit à l’hébergement. Cette situation est révélatrice des lacunes de l’accueil et de la prise en charge des demandeurs d’asile.
La Cimade a dénoncé l’existence d’expulsions de réfugiés haïtiens depuis le centre de rétention administratif (CRA) de Guadeloupe. Celles-ci sont illégales depuis une décision de la Commission nationale du droit d’asile (CNDA) de décembre 2023.
Nous avons été alertés sur cette question mais, là encore, nous avons besoin d’être saisis pour agir. Nous pouvons l’être par des avocats qui interviennent en CRA, comme c’est le cas à Mayotte.
Ces difficultés observées en Guyane sont-elles dues à un manque de moyens administratifs ou s’inscrivent-elles dans un contexte plus national et politique ?
Pour que l’accès aux droits soit respecté dans les services publics, il faut des agents.
L’augmentation des demandes a mis la préfecture en difficulté, ce qui explique les retards. Le problème est qu’on n’arrive pas à traiter l’intégralité des dossiers. Je n’ai jamais pensé que c’était volontaire. La préfecture est elle-même mise à mal par ce manque de moyens humains. Pour que l’accès aux droits soit respecté dans les services publics, il faut des agents.
Des associations y voient pourtant un lien avec la conjoncture politique actuelle.
Il ne fait pas de doute qu’il y a une réticence à délivrer des titres de séjour, sur les premières demandes par exemple. Et certains non-renouvellements de titres n’ont tout simplement pas de sens. Sur les délais, c’est plutôt un manque de moyens humains qu’il faut pallier.
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