Iran-Israël : un monde arabe captif du camp occidental

Derrière le silence des pays arabes face à la guerre entre Israël et l’Iran se cache une hostilité profonde envers Téhéran. Sans pouvoir soutenir ouvertement Israël, avec le génocide en cours à Gaza, ces régimes penchent, pour des raisons stratégiques, du côté du camp américano-israélien.

Denis Sieffert  • 23 juin 2025
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Iran-Israël : un monde arabe captif du camp occidental
Des personnes passent devant une projection représentant les drapeaux israélien et américain sur les murs de Jérusalem, le 22 juin 2025, après les frappes américaines en Iran.
© AHMAD GHARABLI / AFP

Depuis qu’Israël a lancé son offensive contre l’Iran, beaucoup s’interrogent sur le « silence » des pays arabes. La réponse est simple. Si aucun pays arabe ne peut prendre publiquement parti pour Israël, pays historiquement honni en raison de la question palestinienne, l’Iran est vécu depuis la révolution islamique de 1979 comme une menace régionale.

C’est un peu la peste et le choléra. Il est donc urgent de rester en dehors du conflit. Les monarchies passeraient bien outre leur hostilité à Israël, comme l’ont démontré les Émirats arabes unis et Bahreïn en signant avec l’État hébreu les accords d’Abraham en 2020, le ralliement est plus difficile pour l’Arabie saoudite, qui a une vraie « opinion publique » évidemment propalestinienne.

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Pour parler clair, les régimes penchent nettement du côté israélo-américain, avec un particularisme pour le Qatar, qui cultive sa position de médiateur. Il n’est donc pas question de s’engager de quelque façon que ce soit du côté de l’Iran, en dépit de protestations de pure forme et d’appels vagues à la « désescalade ». Sous l’égide de la Chine, Riyad et Téhéran ont certes rétabli en mars 2023 des relations diplomatiques rompues en 2016 après l’exécution d’un leader chiite saoudien, mais les contentieux sont trop profonds. Le premier d’entre eux est sans doute l’assassinat par le Hezbollah, en 2005 à Beyrouth, du premier ministre libanais Rafic Hariri, très proche de la monarchie saoudienne.

Conséquences humanitaires

Mais, surtout, les deux pays se sont livrés une guerre par procuration dont la victime a été le malheureux peuple du Yémen. À partir de 2015, le conflit, qui avait pour origine la guerre civile dans ce pays de l’extrême sud de la péninsule arabique, s’est internationalisé avec l’intervention massive d’une coalition formée de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l’Égypte pour réduire l’influence croissante des rebelles houthis soutenus et armés par l’Iran.

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Une guerre aux conséquences humanitaires désastreuses. L’ONU a estimé à 377 000 le nombre de morts au Yémen, sous les bombes ou de malnutrition. Il faut cependant nuancer cette lecture de la guerre au Yémen, qui pour n’être pas fausse n’est pas exclusive d’une réalité endogène.

Dans ce jeu géopolitique, les Palestiniens sont les grands sacrifiés de l’histoire.

La rébellion houthie ayant des causes sociales et politiques liées à l’histoire du Yémen. Mais le mouvement, issu de la communauté chiite yéménite dans un pays à dominante sunnite, reste aujourd’hui le principal « proxy » de l’Iran (1). Et les rebelles chiites n’ont pas hésité à lancer des missiles contre Israël en solidarité avec Gaza. Ils détiennent aussi, par leur situation géographique, les clés du détroit d’Ormuz, contraignant des compagnies maritimes à ne plus emprunter le canal de Suez pour ne pas risquer d’être attaqués.

1

Anglicisme qui désigne les États ou les mouvements « intermédiaires » qui agissent au nom d’un autre État. Le Hezbollah, les Houtis sont des « proxys » de l’Iran. C’est beaucoup plus discutable pour le Hamas, qui a son propre « agenda » palestinien.

Cette menace sur le commerce international a conduit les États-Unis à bombarder, en mars dernier, la capitale Sanaa aux mains des Houthis. On comprend donc que l’Arabie saoudite, mise en échec au Yémen, n’ait guère de sympathie pour l’Iran. De surcroît, il ne déplaît pas à Riyad de voir la menace nucléaire iranienne s’éloigner.

Les grands sacrifiés

Le silence de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de Bahreïn vaut soutien au camp américano-israélien pour des raisons de business – les bonnes affaires se font de ce côté-là – et de géopolitique. Les États-Unis disposent d’une base navale à Bahreïn, une base aérienne et un centre de commandement sont positionnés au Koweït, une base aux Émirats arabes unis, et la plus importante de ses bases est au Qatar. Si on ne sait pas cela, on ne comprend pas ce que veut dire « impérialisme américain ». Et on ne comprend pas les intérêts stratégiques fusionnels de ces pays avec Washington. En revanche, ces bases représentent autant de cibles potentielles pour l’Iran, et à portée de missiles. C’est le risque pour Trump de l’engrenage.

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Dans ce jeu géopolitique, les Palestiniens sont les grands sacrifiés de l’histoire. Ils ne présentent d’intérêt pour le prince saoudien Mohammed Ben Salmane que parce que leur cause inspire toujours de la sympathie aux populations. Il faut ajouter une autre raison, politico-religieuse, à la faible empathie de l’Arabie pour Gaza. Pour la monarchie saoudienne, wahhabite, les Frères musulmans, sunnites eux aussi mais adeptes d’une lecture moins littéraliste du Coran, constituent une menace. Ce qui conduit Riyad à ne soutenir le Hamas, issu des Frères musulmans, que pour la forme. Et c’est encore plus vrai pour l’Égypte, dont le dictateur Abdel Fattah al-Sissi a fait exterminer tous les dirigeants de la confrérie lors de son coup d’État de 2013.

L’Arabie saoudite et l’Égypte appartiennent pleinement au camp occidental, même s’ils ne peuvent pas le dire trop fort.

C’est pourquoi l’Égypte n’a aucune envie d’accueillir des Gazaouis qui peuvent compter parmi eux des militants du Hamas. En fait, l’engagement arabe du côté occidental est très ancien. C’est en 1945 que l’Arabie saoudite a signé un pacte économique avec l’Amérique de Roosevelt qui peut se résumer par un échange de « bons procédés » : pétrole contre sécurité. Quant à l’Égypte, elle est comme la Jordanie, armée et massivement subventionnée par Washington en échange de sa reconnaissance d’Israël en 1979. L’Arabie et l’Égypte sont également de gros acheteurs d’armes aux États-Unis et à la France. C’est dire que ces pays appartiennent pleinement au camp occidental, même s’ils ne peuvent pas le dire trop fort.

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