Expulsion des Roms à Villeron : relaxe totale du maire et des habitants
En février 2023, les prévenus avaient organisé ou participé à une manifestation contre des Roms, installés dans le bois de leur commune. Ils se défendaient de tout racisme. L’association La voix des Rroms compte interjeter appel.

La manifestation du 5 février 2023 à Villeron (Val-d’Oise) a-t-elle contraint les personnes Roms qui vivaient là depuis plusieurs mois à partir ? Les participants ont-ils détruit des domiciles ? Les violences et le racisme sont-ils caractérisés ? C’est ce que devait juger le tribunal correctionnel de Pontoise, lundi 23 juin. Le maire et un habitant sont poursuivis par le parquet. Les quatre autres prévenus, à savoir les organisateurs de la manifestation et l’homme qui conduisait la tractopelle, comparaissent en raison d’une citation directe formée par Me Henri Braun. Il représente les trois victimes qui ont porté plainte pour violence après les faits, ainsi que l’association La voix des Rroms.
Le dimanche 5 février 2023, à 14 heures, une vingtaine de personnes Roms sont dans un campement, dans le bois de Villeron, près de la départementale. Une heure plus tard, un cordon de gendarmes les laisse passer. Ils partent dans leur voiture. Dehors, des habitants de Villeron, environ 150, crient « on a gagné ! ». Les villageois s’engouffrent dans le campement, certains commencent à arracher à mains nues les bouts de tôles et les bâches. Le maire finit par appeler un conducteur d’engins qui détruit les cabanons et creuse une tranchée.
Quelques jours plus tard, trois personnes Roms ont déposé plainte pour violences, suivies par des plaintes d’associations. Elles ne sont pas dans la salle d’audience, encore traumatisées par les faits. Certains ne veulent plus revenir en France. Plus de deux ans après, cinq habitants et le maire, présents à la manifestation, se sont ainsi retrouvés sur le banc des prévenus. Ils étaient jugés pour« voie de fait, destruction de biens et violences à caractère raciste ».
« Le racisme chez nous n’existe pas »
Dans la salle d’audience qui est pleine, la chaleur pèse, à commencer sur le maire, qu’on comprend à peine. Dominique Kudla, 74 ans, se tient à moitié accoudé sur le pupitre. Il est agité, parle vite, articule peu. Il indique avoir fait un AVC en 2023 suite au départ des Roms. Les gendarmes présents lors de la manifestation décrivent son rôle passif, celui-ci n’ayant pas tenté de calmer les habitants lorsqu’ils se sont engouffrés dans le campement et tenté pour certains de détruire les habitations.
« Il faut bien qu’ils se défoulent un peu » aurait-il dit à un gendarme. Après un petit silence, Dominique Kudla dit ne pas s’en souvenir. « Ils auraient pu me dire : “Monsieur le maire vous faites pas ce qu’il faut,” j’étais en train de discuter avec eux. » Il se défend de tout racisme. « Mes deux grands-pères sont d’origine polonaise, d’ascendant tsigane je pense, ils sont des gens raisonnables. »
À la barre, les prévenus maintiennent ce qu’ils ont dit en audition : la marche était « familiale » et visait à exprimer de façon « pacifique » un mécontentement. Les Roms seraient partis de leur plein gré. Les gendarmes ont vu des pancartes et entendu des slogans tels que « Villeron n’est pas Villerom » ou encore « Bande de parasites ». Ils ont aussi entendu des injures. Aucun des prévenus n’a entendu ou vu quoi que ce soit qu’ils qualifient de raciste.
Être accusée de racisme, ça « choque un peu », selon Sylvie T., infirmière. Elle a produit des attestations pour prouver qu’elle avait soigné « tout le monde » pendant le covid. Laurent B. lui, met au défi quiconque de trouver un raciste à Villeron, commune qui a par ailleurs voté à 56 % pour le RN au deuxième tour des dernières législatives. « Le racisme chez nous n’existe pas », affirme-t-il. Pour sa part, il est policier : être raciste serait « incompatible » avec sa fonction.
Les prévenus ont invoqué leur préoccupation « environnementale », leur ras-le-bol des nuisances (bien qu’aucune plainte de riverains n’ait été déposée sur la période), et leur souci de sécurité. En dernier lieu, ils ont aussi parlé des conditions de vie des Roms. Identifié comme le « meneur » d’un groupe qui avait contourné le dispositif de gendarmes pour accéder au campement, Quentin D., se tient les mains dans le dos. Ses doigts gesticulent. Il se rappelle avoir été « outré. Comment se fait-il qu’aujourd’hui en France des gens puissent vivre dans ces conditions-là ? » « Vous avez fait des démarches avant pour dénoncer les conditions de vie de ces personnes-là ? » demande la présidente du tribunal. « Du tout. »
« Une expulsion quasi manu militari »
Au passage, les associations qui se sont constituées partie civile en prennent pour leur grade, accusées d’avoir porté plainte sans avoir été présentes ni ce jour-là, ni les mois qui ont précédé. Certains représentants sont dans la salle. La présidente refuse de les entendre. « C’est dommage, elles auraient expliqué le rôle des associations de terrain. Nous, on représente un réseau dont font partie les associations de terrain. Par ailleurs, c‘est le rôle des pouvoirs publics de chercher des solutions », explique Me Seddah, l’avocat de Romeurope pendant une suspension d’audience.
Ces propos sont choquants quand on les dit sur des réseaux sociaux mais quand c’est un maire qui les profère, ils sont incendiaires.
L’élève avocat de Me Braun plaide : « Ce n’était pas une ballade, pas une manifestation pacifique mais une expulsion quasi manu militari de personnes qui vivaient là depuis plusieurs mois. » Quant à la destruction des cabanons, ordonnée par le maire au conducteur d’engin, il réfute l’argument de la « sécurité ». « Ça fait 6 mois que les personnes vivaient dedans. Cet argument de la sécurisation urgente imminente n’est pas justifié. »
L’avocat du Collectif national des droits de l’Homme Romeurope et de la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-fondation Abbé Pierre) insiste sur la responsabilité du maire, et ses écrits dans le journal municipal. « Ces propos sont choquants quand on les dit sur des réseaux sociaux mais quand c’est un maire qui les profère, ils sont incendiaires. Ça a un effet d’autorisation sur une population déjà énervée. »
« Qu’est-ce qu’une personne ordinaire ? »
Me Braun complète : « On nous dit que si ça avait été des personnes ordinaires ça aurait été pareil, mais qu’est-ce qu’une personne ordinaire ? Une personne qui n’est pas Rom. C’est là que se trouve le racisme. » Après l’installation du campement en septembre 2022, une procédure d’expulsion avait été entreprise par la commune. Comparant Villeron au « Far West », l’avocat poursuit en soulignant l’intitulé de la demande de manifestation déposée en préfecture : « Rassemblement pour la dissolution du camp de Roms dans le bois de Villeron ». « Dissoudre, c’est renvoyer au néant, que toutes les particules s’évaporent. Le vocabulaire est violent. »
Durant leurs plaidoiries, les avocats de la défense invoquent le caractère « idéologique » du procès, qualifié « d’audience de la démesure ». « La véritable violence de ce dossier, c’est l’instrumentalisation de cette procédure ! » estime l’avocate de Dominique Kudla, « un élu en colère, désabusé, fatigué par cette procédure ». Pour elle « la sauvagerie et la violence n’existent que dans l’imagination de ceux qui n’étaient pas là ». Condamner reviendrait à remettre en cause « le droit de manifester qui est une liberté fondamentale ».
Sur le côté purement juridique, les avocats des prévenus questionnent les éléments constitutifs des infractions, tant matériels que moraux, contestant le fait que leurs clients aient commis des violences, contraint les Roms à partir ou détruit leurs biens, dont ils contestent la qualification. Par ailleurs, ils estiment que rien ne prouve que les gens qui ont porté plainte occupaient le camp. Sur leurs bancs, les avocats des prévenus ont l’air blasé.
Vous encouragez ce maire !
« Les éléments constitutifs d’une infraction ne sont pas constitués », a jugé la présidente du tribunal après avoir délibéré avec les deux autres magistrates présentes.Personne ne s’attendait à un verdict dans la soirée. « Relaxe pour tout le monde. » Les prévenus se sont levés, émus. Dans la salle, quelqu’un s’est levé et s’est exclamé, en colère : « Vous encouragez ce maire ! » La magistrate a menacé de poursuivre pour « outrage à magistrat ». La voix des Rroms a prévu de faire appel.
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