« Correction automatique » : absurdement humain
Dans ce recueil de nouvelles à l’humour grinçant, Etgar Keret dépeint l’irrépressible humanité des hommes dans un monde pourtant ultra-connecté et désenchanté.
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© EMMANUEL DUNAND / AFP
Correction automatique / Etgar Keret / traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech / Éditions de l’Olivier / 208 pages / 22,50 euros.
Au commencement étaient Dieu, les extraterrestres et la nouvelle technologie. Les ingrédients de base des trente-trois nouvelles que compte le recueil Correction automatique de l’auteur israélien Etgar Keret. D’un récit à l’autre, le lecteur rencontrera une jeune femme venue d’un monde parallèle pour remporter un jeu télévisé, une existence dans laquelle il est possible de revenir trente secondes en arrière pour changer ses actions, un film qui dure toute une vie, ou encore le suicide d’une intelligence artificielle. Dans ces histoires magiquement réalistes, l’humanité, même là où elle est chassée, revient toujours au galop.
La nouvelle intitulée « Jour des célibataires chinois » illustre en seulement deux pages ces associations d’idées qui confinent souvent à l’absurde. Un couple stérile achète sur internet une table de cuisine en promotion à l’occasion de la fête chinoise des célibataires. Or une chaise haute est offerte avec cette commande, qu’ils parviendront finalement à donner à des amis à eux, parents d’un bébé baveux et hurlant. En rêve, le protagoniste imagine la nuit suivante qu’il reçoit sous papier bulle un charmant bébé chinois qui le surnomme bizarrement « client » en mandarin.
À travers ce que certains lecteurs pourraient interpréter comme le signe d’une ultramondialisation libérale atteignant jusqu’à l’inconscient, perce dans ce rêve la tendresse de l’époux, qui insiste pour persuader tendrement sa femme que ce bébé aux yeux en amande lui ressemble… L’auteur cultive page après page les différences étranges avec la banalité du quotidien, afin de provoquer un recul pouvant aller jusqu’à un certain malaise. Mais il n’oublie jamais d’y greffer des comportements empathiques auxquels le lecteur peut s’identifier.
Plongée
Au-delà du divertissement, Etgar Keret aborde dans ces histoires des questions existentielles. Le rapport à la guerre, à Dieu, au numérique et, surtout, au couple sont mis en scène avec dérision. À chaque nouvelle, sa chute et son lot de questionnements : que reste-t-il de la sensibilité humaine ? La vulnérabilité est-elle l’unique rempart proprement humain face à la robotisation des sociétés ?
Ces récits sont aussi l’occasion d’une plongée dans la vie quotidienne de la société israélienne d’avant le 7-Octobre (pour la quasi-totalité des nouvelles). On y observe ainsi les journées ralenties du shabbat, les fêtards peu orthodoxes côtoyant les religieux, ou encore la crainte omniprésente des attentats… Le tout déroulant petit à petit le fil de ce qui continue de lier les hommes en dépit du chaos ambiant.
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