« Notre école est le dernier service public du village »

Depuis vingt ans, 7 000 écoles publiques ont été fermées. Celle du Chautay, dans le Cher, pourrait également disparaître. Cette école est l’une des dernières classes uniques de ce département rural. Des parents d’élèves, dont Isabelle, ont décidé de lutter pour éviter cette fermeture.

• 26 juin 2025 abonné·es
« Notre école est le dernier service public du village »
Depuis vingt ans, 7 000 écoles publiques ont été fermées.
© Feliphe Schiarolli / Unsplash

« Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne. » Victor Hugo, après la visite d’un bagne (1853). Jeune maman quasi « néorurale », car de retour dans le Cher après un long périple urbain plus ou moins lointain, je reviens aux sources, dans mon département de naissance : au vert, près des forêts, des étangs, entre Loire et Allier, dans un milieu de vie propice au développement sain des plus jeunes, au plus près de la nature.

Je ne soupçonne pas, alors, la rupture d’égalité criante existant dans les campagnes rurales « en déclin » : l’école, l’accès à la culture, à la mobilité. Un désert à trois heures de Paris. Tout est combat dans le pays de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, où la République n’est parfois plus qu’un concept vide. La question des droits en est au cœur. C’est d’éducation dont je souhaite vous parler, la mère nourricière du « faire société ».

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J’inscris mon enfant en petite section de maternelle en 2021. Je suis loin d’imaginer la lutte que nous devrons entreprendre pour préserver notre droit, pour ce que nous avons de plus précieux : nos enfants et leur droit à l’éducation.

L’école publique, gratuite, laïque pour toutes et tous, un bien commun au service de l’intérêt général, subit des secousses, prend des coups

L’école du Chautay, village de 264 habitants, est une des dernières classes uniques du département. Elle est régulièrement menacée de fermeture pour des raisons d’effectifs trop bas, de rationalisation budgétaire, mais aussi parce que son fonctionnement réussit et dérange. Le petit effectif et le mélange des classes d’âge favorisent le vivre-ensemble, l’apprentissage de la solidarité, de l’entraide, du « faire société » dès le plus jeune âge pour des résultats scolaires exceptionnels.

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Notre trésor, l’école publique, gratuite, laïque pour toutes et tous, un bien commun au service de l’intérêt général, subit des secousses, prend des coups. Pour notre école, cette année 2025 est le coup de grâce. L’Éducation nationale décide de retirer l’unique poste d’enseignant pour la rentrée 2025-2026, ce qui condamne notre école à la fermeture. Séisme !

Face à des décisions unilatérales, qui semblent incontestables parce qu’émanant d’administrations régaliennes, véritables rouleaux compresseurs, nous avons décidé de nous lever. Nos cœurs, nos jambes et nos cerveaux, dans une diversité de pensées et de milieux, nous, les parents de l’école du Chautay, avons formé une association : l’Amicale solidaire des écoles publiques rurales (ASEPR-Le Chautay).

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Dans nos campagnes, les fermetures de classes sont sanglantes, les réactions parfois inexistantes. Le silence est mortifère. Tout passe : les journaux locaux ne sont pas toujours à la hauteur, la résignation est à l’œuvre. Notre cœur de parent saigne : comment opposer un bien commun, l’éducation publique, laïque, gratuite, qui forge nos citoyens de demain, à des logiques économiques et d’« optimisation territoriale » dont on connaît partout les désastres sociaux ? Que voulons-nous pour demain ?

Nous avons décidé de faire valoir nos droits auprès de la justice.

Notre école, c’est le dernier service public du village. C’est le dernier rempart à l’obscurantisme dans des campagnes où le Rassemblement national (RN) fait des scores très importants [au premier tour des législatives 2024, le candidat RN a obtenu 46,5 % des voix dans ce village du Cher, N.D.L.R.]. Dans ce contexte de fermeture d’école, rôdent les hyènes.

Le réseau Excellence Ruralités, réseau d’écoles privées hors contrat, lorgne les écoles publiques à l’abandon pour récupérer des bâtiments au prix d’un euro symbolique pour y installer sa propagande proche de l’idéologie d’extrême droite, dont Pierre-Édouard Stérin est un des mécènes. On détruit l’éducation publique rurale pour bâtir une éducation privée idéologique sombre. On marche sur la tête !

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Nous avons décidé de faire valoir nos droits auprès de la justice. Nous déposons un recours en annulation sur le fond au tribunal administratif. Notre combat, c’est celui de tous les enfants de la République, nous espérons qu’il fera jurisprudence.

Notre cœur saigne, nos larmes coulent, de tristesse, de colère, mais aussi de joie car nous n’avons jamais été aussi unis, nous n’avons jamais autant créé, nous n’avons jamais été aussi soudés autour de notre trésor. Les épreuves rassemblent et permettent des victoires parfois inespérées.

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Publié dans
Carte blanche et Société

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