La folle fuite en avant de Netanyahou

En déclenchant une vaste offensive contre l’Iran, Benyamin Netanyahou s’est lancé dans une stratégie de la guerre perpétuelle pour ressouder l’opinion publique israélienne et invisibiliser les images des massacres à Gaza. Mais cette politique est loin d’être dénuée de risques.

Denis Sieffert  • 17 juin 2025
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La folle fuite en avant de Netanyahou
Manifestation de soutien à l'Iran, à Bagdad, le 16 juin 2025.
© AHMAD AL-RUBAYE / AFP

Faux naïf mais vrai cynique, Benyamin Netanyahou fait mine de croire que l’assassinat du Guide suprême, Ali Khamenei, fera tomber le régime des mollahs. Comme si la relève d’un homme âgé de 86 ans, et gravement malade, n’était pas anticipée par l’appareil politico-religieux de Téhéran. Et il fait mine de croire que les bombes auront raison du savoir-faire nucléaire iranien. On retrouve dans cette fausse naïveté l’idéologie des néoconservateurs américains de l’époque de George W. Bush. Cette idée grotesque selon laquelle on peut importer une autre culture politique par les bombes. Mais Bush y croyait, tandis que Netanyahou, vrai cynique, ne croit pas lui-même à ce qu’il fait croire à son peuple à grand renfort de propagande.

Ses vraies motivations sont ailleurs. La guerre est pour lui une autre respiration. La condition de sa survie politique. Son sort est indissociablement lié à son objectif historique : le grand Israël « from the sea to the river ». Ne perdons jamais de vue que tout ce qui se passe dans cette région du monde procède de l’irrésolution du conflit israélo-palestinien. Pour parvenir à ses fins, Netanyahou ne cesse de déplacer le curseur. Quand les images de Gaza deviennent insupportables, même aux Israéliens, il pratique la fuite en avant. Le 9 juin, le rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui révélait que l’Iran aurait accru son stock d’uranium enrichi « à des niveaux proches de ceux nécessaires à la fabrication d’armes nucléaires », est tombé comme une aubaine.

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Depuis des décennies l’Iran avait remplacé la Syrie des Assad, peu performante dans le rôle indispensable de la « menace existentielle » sans laquelle Israël ne peut fonctionner.

Au fond de l’impopularité, Netanyahou ressoude son opinion publique contre ces mollahs capables de tuer une femme parce qu’elle a laissé échapper une mèche de cheveux de son voile. Soudain, toute la classe politique refait chorus. Même Yaïr Golan, dirigeant d’une gauche à peine renaissante, le soutient contre le « nouveau Hitler ». Il est vrai que depuis des décennies l’Iran avait remplacé la Syrie des Assad, peu performante dans le rôle indispensable de la « menace existentielle » sans laquelle Israël ne peut fonctionner. On ne dira jamais assez ce que la propagande peut faire à un peuple. Sur la scène internationale, quelques-uns des plus sûrs alliés historiques d’Israël, à commencer par la France, prenaient leurs distances.

La conscience occidentale, pourtant bien endurcie, vacillait devant les images de Gaza. Emmanuel Macron lui-même se disait résolu à reconnaître, au moins symboliquement, l’État palestinien. Avec la guerre à l’Iran, le camp occidental se ressoude. Toutes les agressions préventives redeviennent « droit à se défendre ». Emmanuel Macron trouve prétexte à reporter la reconnaissance promise d’un État palestinien. Quant à Donald Trump, il confirme son statut d’« idiot utile », de plus malins que lui, que ce soit Poutine ou Netanyahou. Alors qu’il tentait de recoller les morceaux de l’accord sur le nucléaire iranien qu’il avait lui-même déchiré en 2018, sous la pression de Netanyahou (déjà !), il subit l’offensive israélienne qui ruine son initiative. Déboussolé (mais la boussole est souvent ivre), Trump finit toujours par emboîter le pas à son indocile allié. Le 17 juin, il semblait même s’apprêter à impliquer directement son pays dans l’entreprise de dévastation de Téhéran.

À quel moment l’opinion israélienne prendra conscience que la guerre perpétuelle, ce n’est pas une vie  ?

Il n’en demeure pas moins que l’aventure israélienne n’est pas dépourvue de risques pour Netanyahou. Pour la première fois, nous viennent de Tel-Aviv des images de destructions généralement réservées aux populations alentour. Certes, les morts, même dans son propre camp, ne sont pas un problème pour lui. Ils peuvent crédibiliser la menace et justifier la guerre. Mais jusqu’à un certain point seulement. À quel moment l’opinion israélienne prendra conscience que la guerre perpétuelle, ce n’est pas une vie  ? Il prend aussi le risque d’une apocalypse en frappant les centrales nucléaires iraniennes. Un péril contre lequel les experts de l’AIEA le mettent en garde.

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Enfin, s’il parvenait à anéantir le pouvoir des mollahs, il pourrait créer ce vide chaotique dont l’Irak, la Libye et l’Afghanistan ont déjà fait la terrible expérience. Le terrorisme aurait de beaux jours devant lui. En cela, la politique israélienne est un danger bien au-delà du Moyen-Orient. Pour un moment au moins, tout est donc en ordre dans le camp occidental reconstitué. Mais en façade seulement. Car la fuite en avant va bientôt atteindre ses limites. Les regards vont se poser de nouveau sur les enfants décharnés de Gaza. Le temps n’est peut-être pas si éloigné où les Israéliens comprendront que leur pire ennemi est à la tête de leur pays.

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