Une nouvelle science : la « Trumpologie »
Le cerveau de Trump est une sorte de boîte noire aussi complexe que le Kremlin autrefois. Le personnage étant président des États-Unis, on bien obligé de chercher à comprendre. Et l’affaire iranienne donne matière à analyse.

Un emploi s’est perdu à la fin des années 1980, celui de Kremlinologue. On se gaussait à l’époque de ces spécialistes qui tentaient, souvent en vain, de déchiffrer ce qui se passait à l’intérieur de cette boîte noire stalinienne que fut le Kremlin de Brejnev, d’Andropov ou de Tchernenko. Si le temps n’avait pas usé leurs neurones, ils pourraient s’essayer aujourd’hui à une nouvelle science, aussi incertaine que la précédente : le Trumpologie. À une journaliste qui lui demandait si Trump allait ou non entrer en guerre en Iran, l’excellent Robert Malley a répondu qu’il n’était « ni psychiatre, ni astrologue ». Malley, qui fut, en 2015, le principal négociateur pour Obama de l’accord sur le nucléaire iranien, a peut-être tout dit.
Tout a commencé à s’embrouiller quand Trump a pris les choses en mains.
Car il est vrai que le cerveau de Trump est une sorte de boîte noire aussi complexe que le Kremlin autrefois. Mais le personnage étant tout de même président des États-Unis, on bien obligé de chercher à comprendre. Et il se trouve que l’affaire iranienne donne matière à analyse. En quelques jours, depuis qu’Israël a lancé ses bombes et ses missiles contre l’Iran, on essaie de deviner ce que Trump va faire, alors même que Netanyahou a besoin de ses bombes pour perforer la colline de Fordo où se trouve le cœur de l’arsenal nucléaire iranien. Va-t-il de surcroît donner son feu vert à l’élimination du « Guide suprême », Ali Khamenei ? Tant que son secrétaire d’État, Marco Rubio, s’exprimait, tout semblait à peu près clair. Pour lui, Israël avait déclenché contre l’Iran une « offensive unilatérale » dans laquelle « les États-Unis n’étaient pas impliqués ».
Tout a commencé à s’embrouiller quand Trump a pris les choses en mains. Combien de signaux contraires a-t-il donné depuis le 13 juin ? Jusqu’à cette phrase énigmatique prononcée au soir du 18 juin : « Je le ferai peut-être, je ne le ferai peut-être pas. Personne ne sait ce que je vais faire. » Pas même lui, peut-être. Il est vrai que cet esprit déjà tourmenté, était pris dans une vraie contradiction politique entre les pressions israéliennes et sa promesse de campagne de n’impliquer son pays dans aucune guerre. Dans son entourage, deux lobbies incarnaient ce dilemme. D’un côté, les « néoconservateurs », interventionnistes, héritiers de l’époque Bush et du désastre irakien ; de l’autre, les « Make America Great Again » (Maga), isolationnistes.
La contradiction iranienne poursuit Trump.
Se parjurer ou se montrer faible ? En fait, la contradiction iranienne poursuit Trump. C’est lui qui, arrivé la première fois au pouvoir, avait déchiré en 2018 l’accord sur le nucléaire négocié par Obama et son conseiller Robert Malley. Et c’est lui qui tentait d’en recoller les morceaux ces jours-ci quand Netanyahou lui a coupé l’herbe sous le pied. Car voilà un autre aspect du problème. Trump donne l’impression dans cette affaire de n’avoir pas l’initiative, et d’être mené par le bout du nez par le très va-t-en-guerre Netanyahou. Ce que Trump déteste par-dessus tout. Il a donc tendance à faire sienne la fameuse formule de Cocteau : « Ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs. »
Au prix de ce rattrapage, il semble opter pour une intervention. Avec cette complication supplémentaire que Vladimir Poutine, resté jusque là silencieux, le mettait en garde, jeudi, contre les conséquences d’une entrée directe des États-Unis dans le conflit. Mais le « peace maker » (le faiseur de paix) n’est pas à une contradiction près. Dans un petit ouvrage brillant, le philosophe Alain Badiou, rappelait que Trump était capable de « menaces apocalyptiques quand il s’agit de ses haines maniaques » au rang desquelles il place l’Iran et « l’immense foule des prolétaires nomades d’Amérique du Sud » (1).
Trump, Alain Badiou, Puf, 2020.
Cinq ans plus tard, « les haines maniaques » sont toujours là. Et le monde dépend toujours de ce personnage que Badiou décrivait comme un « tempérament fougueux », avec ses « plaisanteries salaces, ses brusques revirements, ses injures marquées au coin du nationalisme revanchard et d’un racisme à peine maquillé ». Sans oublier ses « brevets d’autosatisfaction délivrés à lui-même par lui-même ». Il y faut ajouter un trait essentiel : l’appât du gain qui le conduit par exemple à vouloir transformer Gaza en vaste projet immobilier.
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