À Paris, des mères rassemblées pour les enfants de Palestine
Des centaines de mères, accompagnées pour nombre d’entre elles de leurs enfants, se sont réunies aux Invalides ce 15 juin pour pousser Emmanuel Macron à agir face au génocide et à la tragédie que vivent les enfants encore vivants à Gaza.

© Hugo Boursier
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« On ne peut pas accepter de se faire réprimer alors qu’un génocide se passe sous nos yeux » Égypte : la Marche pour Gaza bloquéeC’est un public inhabituel en manifestations. Trop dangereuses, trop bruyantes, trop incertaines. Mais ce dimanche 15 juin, les enfants sont bien présents au rassemblement organisé à l’appel du collectif des mères pour la Palestine. Dans les bras des mamans – présentes par centaines dans ce coin des Invalides à Paris –, sur les épaules des quelques pères présents, assis sagement sur un banc ou jouant sous l’ombre des arbres.
Les enfants, en Palestine, sont 15 613 à avoir été tués sous les balles, les bombes, les flammes ou la famine organisée par l’armée israélienne, selon un bilan de l’Unicef. Ils sont plus de 34 000 à être blessés. 11 200 restent portés disparus. Face à ce massacre, « nous, mères de France, n’avons pas pu nous résoudre à rester silencieuses ! », lance Fatima, sur un petit chapiteau blanc qui surplombe la foule vêtue, pour l’occasion, en noir et blanc, « couleur du deuil, de la résistance et de la colère. »
Cet événement, assez inédit en France parmi ceux organisés en soutien à la Palestine, s’est organisé autour du 24 mai. Ce jour-là, la pédiatre Alaa al-Najjar voit arriver dans un hôpital à Gaza le corps de neuf de ses dix enfants, tous tués par l’armée d’occupation dans un bombardement. C’était la veille de la fête des mères. Une « tragédie insupportable » pour bon nombre de mères, en France, qui décident de se mobiliser.
Militantes ou non, responsables d’associations, de collectifs féministes, antiracistes, ou inconnues qui n’en peuvent plus de ne pas agir, ces mères indignées décident d’écrire et de signer une tribune, publiée dans Politis, appelant à un rassemblement – d’abord devant l’Élysée puis aux Invalides, la préfecture de police de Paris refusant toute manifestation devant le palais. À la fin de l’événement, une délégation de trois mamans avec leurs enfants a quand même voulu se rendre au 55, rue du Faubourg Saint-Honoré. Un rendez-vous pourrait bientôt être pris.
« Nous avons donc créé cet appel, signé par plus de 4 000 personnes. C’est vous, les 4 000 ! », s’enthousiasme Céline Lebrun Shaath, militante des droits humains, avant de céder sa place à Sarah, Estelle et Sonya pour qu’elles lisent le texte. « Il y a des mères de toute la France, de Marseille, de Roubaix. D’autres m’ont dit que c’était difficile de se rendre aux manifestations mais celle-ci, elles voulaient y être », reprend Céline Lebrun Shaath, sous les applaudissements.
Je veux pouvoir dire à ma fille plus tard que j’aurais tout fait pour que ce génocide disparaisse.
À quelques mètres des enceintes, une fresque est dépliée petit à petit sur une table. Des petits cœurs rouges et verts, des lettres peintes, des coloriages ou des drapeaux palestiniens aux contours enfantins. « Les parents et les enfants sont invités à y déposer des messages ou des dessins. Elle sera amenée à Gaza », entend-on de l’autre côté de la place.
Sarah, 7 ans, s’applique. Sa mère l’observe, touchée, un œil sur le visage de la fillette qui rougit sous les puissants rayons du soleil, l’autre dirigée vers la scène où Céline Lebrun Shaath poursuit son introduction. « Je veux pouvoir dire à ma fille plus tard que j’aurais tout fait pour que ce génocide disparaisse. Le silence a trop duré. Il est de notre responsabilité de le briser », lance-t-elle, devant les bras tendus des manifestantes, scandant « Enfants de Gaza, enfants de Palestine, c’est l’humanité qu’on assassine. »
Accrochées par des pinces-à-linge sur une cordelette tirée entre les platanes, des images d’enfants, tout sourire ou posant fièrement, entourent la place. Leurs visages occupent presque toute la page, et leur nom est écrit en rouge en dessous avec, marqué dans un coin : « Pas que des nombres ». Sur l’une des feuilles, on peut lire : « Mohammad Jamal. 7 ans, enfant de Gaza City, excellent élève, curieux, aimait jouer avec ses camarades et son père. Il est tué par l’armée israélienne le 11 octobre 2024, alors qu’il jouait devant sa maison. »
« Complicité »
De la tristesse à la colère face « à la complicité d’Emmanuel Macron », l’émotion change vite et traverse toute la foule, dont Soumaya, 38 ans, venue de Seine-et-Marne, et qui n’en pouvait plus d’être « tétanisée devant l’horreur que l’on voit sur les réseaux sociaux et à la télé. » Elle s’interrompt pour écouter le témoignage de Mouzna, qui raconte ce que cela fait, d’être « mère palestinienne en France ». « Je n’ai plus de mots. quand je parle à mes amis en Palestine et à Gaza, je n’ai plus de mots », commence-t-elle, la gorge serrée. « Que peut-on répondre à une femme qui vous envoie la photo de son bébé et qui vous supplie de ne jamais l’oublier ? interroge-t-elle. Un bébé qui n’a pas eu le temps de pleurer, de rire ou de désobéir. »
Sous le silence, une petite pancarte dépasse. Les inscriptions sont écrites par un enfant. On peut lire parmi les lettres inégales : « On n’a pas le droit de taber les enfants [sic] ». Mouzna cite l’histoire de Dahlia, 11 ans, qui vit à Gaza. Sa mère a été hospitalisée à Ramallah. Les autorités israéliennes l’empêchent de revenir rejoindre sa famille. « Gaza et Ramallah, c’est la même distance que Paris et Beauvais », illustre-t-elle, pour ne pas laisser s’évaporer la Palestine dans un espace seulement défini par les bilans des morts et des blessés.
Une pancarte rappelle cet internationalisme : « De mère à mère, de cœur à cœur : Solidarité avec Gaza. STOP GÉNOCIDE ! », peut-on lire sur le bout de carton rougi d’un cœur. Deux grandes banderoles s’étirent des deux côtés du jardin où l’on peut lire les milliers de noms d’enfants tués. Quelques enfants se glissent dessous pour profiter de l’ombre créée par le tissu, qui paraît soudain immense.
L’émotion, vive, passe aussi par l’énonciation claire des revendications. Elles sont répétées régulièrement pendant les deux heures de rassemblement. « Un embargo sur les armes, la fin de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, une coopération entre le gouvernement français et la Cour pénale internationale, le jugement des responsables du génocide en France. Et que toutes les initiatives soient prises pour briser le blocus humanitaire à Gaza », énumère Céline Lebrun Shaathn.
« J’accuse »
Mouzna lui emboîte le pas. Et aborde un langage et des mensonges qui contribuent à enterrer la réalité du génocide à Gaza. « J’accuse les gouvernements qui parlent de la paix en vendant des bombes à Israël. J’accuse ceux qui disent ‘cessez-le-feu’ tout en livrant des armes dans mon pays. J’accuse les éditorialistes qui ont du mal à dire le mot ‘génocide’. J’accuse ceux qui disent ‘affrontement’ comme s’il y avait deux armées », lance Mouzna, dans un rythme repris par les applaudissements.
Ma sœur n’est pas assez importante pour l’État français.
Elle laisse la place à la tante des petits enfants de Jacqueline Rivault, grand-mère d’Abderrahim, 6 ans, et Jannah, 9 ans, tués après qu’un bombardement israélien s’abatte sur l’immeuble où ils vivaient. Jacqueline Rivault a porté plainte pour crime de génocide. La mère de ces deux enfants a été condamnée en 2019 pour financement du terrorisme. « On accuse ma sœur simplement parce que son mari est palestinien », dénonce la jeune femme. « Ma sœur est blessée. Elle a des éclats d’obus dont une à côté d’une artère. Mais elle n’est pas assez importante pour l’État français. »
Sahari, adolescente franco palestinienne, prend la parole. Elle raconte les interactions qu’elle essaie de maintenir avec une partie de sa famille qui survit à Gaza. Après plusieurs jours sans nouvelle suite à la coupure d’internet imposée par Israël depuis lundi, elle a pu enfin joindre sa cousine. « Ce qui est incroyable, c’est que ma cousine, incroyable de résistance, ne nous a pas expliqué ses conditions de vie terribles. » Silence. « Elle nous a annoncé, en souriant, que son frère venait d’avoir un nouvel enfant. » Parfois, la vie parvient à surgir dans les décombres.
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