À Dijon, les Lentillères luttent et sèment la joie
À Dijon, le Quartier libre des Lentillères cultive son jardin et le lien social depuis quinze ans, en oscillant entre la joie et la colère au gré des réactions politiques.
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Voyez, je ne suis qu’une femme Burn-out militant : questionner les organisations pour mieux militer Éco-anxiété : l’apprivoiser, agir et aller mieux Samah Karaki : « L’action est négligée dans le monde affectif »Il y a quinze ans, une mobilisation citoyenne déboule au sud de Dijon, avec comme cri de ralliement : « Libérons les terres ! » Une partie des manifestant·es décide de se réapproprier un coin d’une friche maraîchère désertée depuis le milieu des années 1990. « C’était en mars 2010, il pleuvait mais beaucoup de monde était venu avec une bêche ou un râteau, se souvient Louise*. Il y avait une grande joie, une vraie émulation pour redonner vie à ces terres agricoles. » Le Pot’Col’Le – pour potager collectif – voit le jour.
Les prénoms suivis d’une astérisque a été changé.
Valeurs sociales fortes
Des caravanes arrivent, des habitations se construisent, les anciens bâtis maraîchers sont occupés. Les personnes exilées somaliennes et érythréennes expulsées d’autres squats trouvent un lieu d’accueil et de solidarité. Le Quartier libre des Lentillères prend vie. Mais la mairie officialise un énième projet d’écoquartier sur 21 hectares et des tractopelles creusent d’énormes trous. « Tout a été rebouché lors d’un chantier collectif. La colère nous a donné une énergie collective qui nous empêche de sombrer dans le désespoir », glisse Louise. La phase une du projet éclot finalement, mais épargne les Lentillères.
En 2019, le maire, François Rebsamen, annonce l’abandon du projet. De la joie pure pour le collectif. Puis la désillusion absolue : l’édile maintient sa lubie de bétonniser un hectare des Lentillères. De longues discussions s’engagent pour trouver une forme d’existence légale à ce lieu. Le stress, l’incompréhension et la méfiance vont jalonner toutes ces années. « Nos interlocuteurs niaient l’existant, le travail accompli pour sauver ces terres, créer du lien social. On apprenait des choses dans la presse, on avait l’impression qu’ils nous plantaient des couteaux dans le dos. Et ils balayaient nos propositions d’un revers de main, alors que, de notre côté, ça nous demandait beaucoup de travail », détaille Sadia*.
En 2023, la mairie rompt le dialogue et pose un ultimatum : s’il n’y a pas de construction sur la fameuse parcelle d’un hectare, il n’y aura pas de régularisation des Lentillères. La colère, le sentiment de trahison et quelques bribes de fatigue et d’abattement se font sentir. Mais les membres du collectif tiennent bon.
L’âpreté des émotions lors des échanges avec les élus locaux contraste avec celles ressenties au quotidien, « sans idéaliser la vie de ce lieu en lutte non plus, tempère Sadia. Le maraîchage est un travail harassant et se mettre collectivement d’accord n’est pas toujours simple. Notre quartier repose sur des valeurs sociales fortes, donc on côtoie la précarité, avec toutes les difficultés que cela comporte. » Mais une forme de bonheur se dessine, car les uns et les autres trouvent un sens à cette vie.
On apprenait des choses dans la presse, on avait l’impression qu’ils nous plantaient des couteaux dans le dos.
Sadia
L’espoir comme fil rouge
La fête est présente depuis toujours sur ce lieu, au moins deux fois par an, au rythme des saisons avec la Fête d’automne et la Fête du printemps, date de l’anniversaire du quartier. Mais aussi lors d’événements plus dramatiques, comme en janvier dernier lorsqu’un incendie a détruit une maison. « On a fait une fête d’au revoir au bâtiment et on a reconstruit ensemble. Notre vraie force, c’est le groupe. » Une sincère fierté.
L’espoir reste le fil rouge de ce lieu. Il éclot dans le potager lors de la récolte des tomates ou des pommes de terre nouvelles, il surgit lorsque des soutiens rejoignent le collectif pour les fêtes et les manifestations locales, pour jardiner ou pour le marché hebdomadaire du jeudi. « Des retraités, des familles précaires, des militant·es, des gens de tous âges et de toutes les nationalités. Ils captent notre énergie, nous disent que ça leur donne de l’espoir, alors ça nous en donne aussi », explique Louise.
Comme celui, tenace, que partage le collectif depuis plusieurs années de voir son lieu et son mode de vie régularisés. « Ce n’est pas l’espoir d’un futur lointain et hypothétique, mais notre quotidien de solidarité qui nous donne de l’espoir, souligne Sadia. On y croit. Même si dans un an un accord est signé, il faudra continuer à gérer cet endroit, à agir pour garder cette énergie. »
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