Budget : Bayrou, boucher de l’État

En annonçant des mesures d’austérité d’une ampleur rare, François Bayrou a fait le choix, non pas de la « responsabilité » et de la « justice », mais du massacre social et écologique du pays. Le tout, en préservant les plus aisés.

Pierre Jequier-Zalc  • 15 juillet 2025
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Budget : Bayrou, boucher de l’État
Les pistes d’économie présentées par le Premier ministre, François Bayrou, ce mardi 15 juillet, annoncent un démantèlement minutieux de la puissance publique, bien inspiré par le président argentin, Javier Milei.
© Montage : Maxime SIrvins

« Le moment de vérité. ». Seul, avec ces quatre mots écrits au pupitre sur un fond blanc, aux allures de chambre froide. Pendant plus d’une heure, le premier ministre s’est transformé en boucher. À coups de machette, il a annoncé des baisses massives de la dépense publique. Transformant le « moment de vérité » en massacre social.

Par où commencer ? Sans doute par ce préambule, dont François Bayrou a le secret. En bon père de famille soporifique au possible, le premier ministre a mis en scène une « malédiction » : celle de la dette. Un « piège inévitable » dont la France serait au « bord de la falaise ». Les images n’ont pas manqué pour développer le gouffre qui serait à nos pieds.

Aucune, en revanche, n’est venu alimenter les explications d’une explosion du déficit public dont Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs – responsables d’une baisse continue des recettes publiques via la suppression de l’ISF, la flat tax ou les baisses d’impôts pour les entreprises – ont une lourde responsabilité.

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Dans un refrain néolibéral devenu insupportable au fil des études montrant l’explosion de la pauvreté (+400 000 pauvres supplémentaires entre 2022 et 2024 selon l’Insee), des inégalités, de la panne de l’ascenseur social ((la France classée 23e sur 27 pays européens en mobilité sociale selon l’OCDE), François Bayrou s’est attaqué à la cible facile. Les dépenses publiques.

Et il ne l’a pas fait dans la demi-mesure. Suppression de 3 000 postes de fonctionnaires, non remplacement d’un fonctionnaire sur trois, suppression de plusieurs agences d’État (et, avec, de 1 500 emplois), effort de 5 milliards sur la santé avec une hausse de la franchise médicale – et donc, du prix des médicaments pour les patients, « plus grande efficacité » demandée aux hôpitaux.

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Les plus pauvres trinqueront

Non, la liste de cette saignée sans précédent ne s’arrête pas là. Mais il nous faut, déjà, faire une pause tant ces premières mesures, annoncées le sourire aux lèvres, méritent d’être digérées. Pour faire des économies, le locataire de Matignon s’attaque donc aux services publics. Avec l’hôpital en première ligne. Quatre ans après une pandémie qui a montré, crûment, la déliquescence du système de santé français. Est-ce là la responsabilité d’un premier ministre ? Et la « justice » dont le maire de Pau s’est paré pendant plus d’une heure ?

Quand on a un patrimoine qui dépasse allègrement le million d’euros, peut-on se rendre compte de ce que représente 8 euros par mois ?

Certainement pas. Lorsque l’hôpital public trinque, ce sont toujours les pauvres, les précaires, celles et ceux qui ne peuvent se permettre de franchir les portes – et les factures – d’une clinique privée, qui trinquent.

Même remarque pour la hausse de la franchise médicale. « Ce n’est que 8 euros de plus par mois », assure le Béarnais, sans ciller. Une phrase qui rappelle celle d’Emmanuel Macron lorsque celui-ci avait diminué les APL de cinq euros. Quand on a un patrimoine qui dépasse allègrement le million d’euros, peut-on se rendre compte de ce que représente 8 euros par mois ? Visiblement non.

Pourtant, ce sont bien 9,8 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté, un niveau jamais atteint au XXIe siècle dans l’hexagone. Et la pauvreté et les problèmes de santé étant des variables cumulatives, se sont bien, encore, les plus pauvres qui trinqueront. Aucune justice, beaucoup d’indécence.

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Pourtant, nous ne sommes qu’au début du dépeçage. Reprenons la liste infernale : « année blanche » en 2026. Coup de freins immédiat. Nous sommes obligés de nous arrêter sur cette annonce dont le terme, sans beaucoup de signification, cache une violence sociale inouïe. L’idée est simple : aucune prestation sociale, aucun barème pour les impôts ne seront revus à la hausse en 2026, comme c’est habituellement le cas, ceux-ci suivant l’inflation.

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Une mesure « d’égalité » qui impacte « tout le monde » jurent, la main sur le cœur, le premier ministre et ses soutiens. C’est, pourtant, éluder celles et ceux qui touchent des prestations sociales, les APL, le RSA, les allocs familiales ? Des petites pensions dont la revalorisation annuelle est le seul moyen de ne pas couler ? Les plus démunis, encore une fois. La machette tombe toujours au même endroit. Et l’année blanche se transforme en année noire.

Sortir d’un capitalisme cannibale

Dans une forme de frénésie décomplexée dont seul le libéralisme a le secret, le président du Modem a continué son massacre. Les malades, les pauvres, les allocataires. Tronçonneuse en main, il était donc temps de s’attaquer, encore une fois, aux chômeurs. Après trois réformes successives, plus violentes les unes que les autres, non évaluées, dont le seul intérêt était de réduire les droits des personnes sans emploi, et, donc, les salariés. Le maire de Pau a donc annoncé une nouvelle négociation sur l’assurance-chômage dont les règles – non précisées – seront très certainement aussi biaisées que les précédentes.

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Et, en guise de pompon, la suppression de deux jours fériés. Le lundi de Pâques et le 8 mai, « par exemple ». « Il faut travailler plus », sempiternel refrain. Petit clin d’œil aux bruns de l’hémicycle – notamment ceux qui applaudissent toute restriction de droits sociaux au nom du travail – et dont l’histoire politique rend la suppression du 8 mai encore plus sinistre. Quel plus beau symbole pour les descendants d’un parti créé par des Waffen SS que de mettre les salariés au travail le jour célébrant la fin du nazisme ? « Arbeit macht frei » (« Le travail rend libre ») ?

Dans la main du boucher Bayrou en revanche, la machette se transforme en petite brosse à plumes quand il s’agit de s’attaquer aux plus aisés. Certes, on entend déjà les membres du gouvernement mettre en avant la « contribution de solidarité sur les hauts revenus » annoncée par Matignon. Mais les contours de celle-ci, pas précisés mais dont on connaît, déjà, la teneur, viendront montrer son inefficacité et sa faiblesse.

Les aides publiques aux entreprises, elles, sont tout simplement laissées de côté. 211 milliards en 2024 a expliqué le Sénat dans un rapport récent. « Des sommes très importantes », a reconnu Bayrou qui a évoqué des possibles « réflexions ». Mais sous les yeux du président du Medef, il a tenu, tout de suite, à le rassurer. Ces « réflexions » ne sont pas chiffrées dans le plan présenté.

Petite caresse de brosse à plumes. Un simple audit sérieux de ces aides, dont une part importante est jugée inefficace ou redondante par la Cour des comptes, aurait pu dégager plusieurs milliards, sans toucher aux plus fragiles. Mais cette piste, pourtant plébiscitée par des économistes de tout bord, a été soigneusement écartée.

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On pourrait presque en rigoler si ces annonces n’allaient pas avoir un impact, concrètement, matériellement, sur des millions de personnes. Une présentation d’un budget 2026 à l’opposé des urgences d’un pays rongé par les inégalités et la pauvreté galopante. Par le réchauffement climatique, dont les effets terribles et concrets sont visibles aussi régulièrement que le désengagement effrayant du gouvernement pour le réguler.

La machette se transforme en petite brosse à plumes quand il s’agit de s’attaquer aux plus aisés.

En brandissant le chiffon rouge de la dette pour justifier son massacre social et écologique, François Bayrou témoigne ici de la plus crasse incapacité de l’exécutif à sortir d’un capitalisme cannibale qui nous fait, pourtant, foncer tout droit dans le mur. Un exécutif désormais minoritaire et qui ne veut pourtant pas sortir d’une doxa largement discréditée dans les urnes.

C’est d’ailleurs peut-être la seule conclusion à tirer de cette prise de parole : celle-ci n’était, en réalité, pas « un moment de vérité » pour le pays. Mais bien pour le locataire de Matignon, sur un siège éjectable. Aux parlementaires, désormais, de faire cesser le massacre avant qu’il ne soit trop tard.

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Parti pris et Économie

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