Maison internationale populaire : « Une centaine de personnes à la rue ont investi le squat »

Esmée*, une occupante des anciennes casernes Beaumont, à Tours, transformées en une grande Maison internationale populaire, raconte sa mise en place, avec ses difficultés humaines et organisationnelles.

• 16 juillet 2025
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Maison internationale populaire : « Une centaine de personnes à la rue ont investi le squat »
Maison internationale populaire Tours
© Compte Instagram de la MIP

Voilà plus de trois mois que les anciennes casernes Beaumont, à Tours, se sont transformées en une grande Maison internationale populaire (MIP), un vaste squat qui redonne vie à ces bâtiments vides depuis plus de quinze ans. Esmée*, une occupante, raconte sa mise en place, avec ses difficultés humaines et organisationnelles. Le tout en fêtant le maintien du lieu au moins jusqu’en avril 2026.

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Le prénom a été changé.


Depuis le 18 avril 2025, je fais partie des occupant·es des anciennes casernes Beaumont à Tours, bâtiments vacants depuis plus de quinze ans que nous avons transformés en une grande Maison internationale populaire (MIP). Après trois mois, ce sont quelque cent personnes à la rue qui ont investi le squat et le font vivre grâce à des concerts, des fêtes, un potager, un trampoline et une piscine pour les (nombreux !) enfants.

Une centaine d’occupant·es issu·es de milieux sociaux et de cultures politiques diverses ont dû apprendre à composer ensemble.

Nous étions une trentaine, en amont, à nous organiser pour la préparation. Dès l’ouverture, une cinquantaine de personnes se sont installées à la MIP. Et rapidement une centaine d’occupant·es issu·es de milieux sociaux et de cultures politiques diverses ont dû apprendre à composer ensemble. Notre intention, dès le début, était de mettre en place l’organisation la plus horizontale possible, impliquant l’ensemble des occupant·es. En quelques jours, nous avons réparti les différentes tâches en une multitude de commissions : travaux, communication, sécurité, santé, programmation culturelle, etc. En parallèle, nous avons organisé deux grandes assemblées :

• Une assemblée générale (AG) habitante, qui répondait au besoin de nous rencontrer et de nous organiser collectivement après l’effervescence des premiers jours et des nombreuses arrivées. Elle se maintient aujourd’hui en tant qu’AG Maison hebdomadaire, où les décisions sont prises au consensus.

• Une AG publique qui a rassemblé plus de soixante-dix sympathisant·es. Si celle-ci fut une bonne manière d’ouvrir la MIP à des personnes souhaitant s’y investir, nous en avons vite perçu les limites. Il semblait absurde que des personnes qui venaient pour la première fois prennent des décisions pour les occupant·es du lieu. Ainsi, nous nous sommes demandé : quels espaces sont décisionnaires ? Cette question essentielle traverse nos trois mois d’existence et est sans cesse remise en cause.

L’absence d’espace décisionnaire visible a été la source de plusieurs conflits qui ont périodiquement épuisé et divisé le collectif.

L’absence d’espace décisionnaire visible a été la source de plusieurs conflits qui ont périodiquement épuisé et divisé le collectif. Nous avions aussi beaucoup de mal à prendre des décisions puisqu’aucun groupe n’était reconnu comme légitime en dehors de l’AG Maison. Elles étaient finalement prises dans l’urgence par des petits groupes de manière non démocratique et beaucoup d’occupant·es n’en étaient finalement jamais informé·es.

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De plus, en l’absence d’espaces légitimes, les espaces numériques prenaient énormément de place. Cela contribuait à l’épuisement général et coupait les plus précaires de l’accès aux informations. À travers des arpentages et des retours d’expériences d’autres squats et lieux autogérés, nous avons pu mettre en évidence le besoin de nous structurer. S’est ensuivi un intense travail d’élaboration de plusieurs supports. Nous sommes passé·es par la création d’un lexique propre à la MIP, transformant la nébuleuse de commissions en six paniers : habitation, politico-juridique, soin et social, économie, alimentation, culture et éducation.

Ces paniers contiennent des « bocaux », c’est-à-dire des groupes de travail sur des sujets précis, plus ou moins éphémères. Ils sont mandatés pour prendre des décisions de manière autonome et doivent en rendre compte à leur panier et à l’AG. La charte a permis de rendre visibles et explicites des règles jusqu’ici tacites. Nous sommes passé·es par de longs débats afin d’aboutir enfin à des consensus sur des points qui divisaient le collectif.

Le verdict du procès qui nous permet de rester dans les lieux au moins jusqu’en avril 2026 !

Parmi ceux-ci, les conditions d’accueil et la manière collective de gérer les conflits étaient les points qui cristallisaient le plus de tensions. Le livret d’accueil entre dans une démarche globale qui vise à permettre à tous·tes de s’approprier le lieu le plus aisément possible. Pour cela, nous avons aussi installé un peu partout de la signalétique dans plusieurs langues et rédigé et dessiné des tutoriels pour l’utilisation des toilettes sèches et des douches solaires.

Toute cette structuration s’est déroulée en même temps que nous étions pris·es par des urgences telles que l’arrivée de nombreuses nouvelles personnes à la rue et une assignation en justice. C’est donc avec une joie immense que nous célébrons ce vendredi 18 juillet ce que nous avons collectivement accompli en trois mois et le verdict du procès qui nous permet de rester dans les lieux au moins jusqu’en avril 2026 !

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