Gaza : « C’est un devoir moral de refuser de servir un génocide en cours »

En Israël, ceux qui refusent d’effectuer leur service militaire obligatoire sont rares, alors même que l’opinion publique s’oppose de plus en plus à la gestion de la guerre. Tal Mitnick, l’un des premiers refuzniks, témoigne.

Élise Leclercq  • 27 août 2025 abonné·es
Gaza : « C’est un devoir moral de refuser de servir un génocide en cours »
Tal Mitnick, a refusé de servir l’armée israélienne dans un contexte d’occupation et de bombardements des territoires palestiniens. Il a passé six mois en prison en 2024.
© Mostafa Alkharouf / Anadolu / AFP

Tal Mitnick est objecteur de conscience israélien. En 2023, alors âgé de 18 ans, il est le premier à refuser de faire son service militaire après l’attentat du 7-Octobre perpétré par le Hamas. Il rejoint alors la maigre liste des refuzniks, ces citoyens refusant de servir l’armée. Un acte vu comme une trahison par l’État israélien. Après six mois passés en prison miliaire, sa sortie ayant été repoussée à cinq reprises, il a été exempté le 10 juillet 2024.

Dans une lettre écrite le 26 décembre 2023, vous dites avoir refusé de vous enrôler avant le 7-Octobre. Quelles étaient les raisons de ce refus ?

Ma décision est intervenue bien avant le 7-Octobre, lorsque j’ai pris connaissance des politiques de notre gouvernement et de notre politique militaire dans les territoires occupés. J’ai compris que l’occupation non seulement existe, mais est activement entretenue chaque jour, une occupation illégale en Cisjordanie et à Gaza. J’ai compris que l’existence même d’un État suprémaciste devait se faire au prix d’un effacement continu de la culture, de l’identité et du peuple palestiniens. Je ne pouvais pas servir dans une armée complice de cette occupation.

Le génocide que commet Israël à Gaza découle d’une idéologie suprémaciste

Je pense que tout est lié. Les raisons pour lesquelles Israël a maintenu son occupation en Cisjordanie, les raisons pour lesquelles il commet aujourd’hui un génocide à Gaza découlent de cette idéologie suprémaciste, de ce besoin constant de combler le vide victimaire nécessaire au maintien de cet État nationaliste.

Selon vous, comment la société civile israélienne a évolué sur la question des refuzniks depuis le 7-Octobre ?

Un fort désir d’unité s’est fait sentir au sein de l’opinion publique israélienne. Si auparavant elle était très divisée sur le gouvernement et la question de la réforme judiciaire, après le 7-Octobre, tout le monde a souhaité l’unité. L’unité autour de la revanche sur Gaza, l’unité autour de la guerre et enfin l’unité autour de l’engagement commun et de la victoire commune. Au début, on ne parlait tout simplement pas de refus.

Quand j’ai refusé, j’ai rencontré une forte opposition de la part de la grande majorité de l’opinion publique israélienne. C’est un énorme tabou. Nous sommes une immense minorité. Personne dans le monde politique, ne parvient à représenter un véritable appel à l’égalité et à la justice.

Sur le même sujet : Nous refusons de livrer la guerre : Air France doit répondre

Aujourd’hui c’est globalement la même chose. Même si, il est clair, pour la grande majorité de l’opinion publique israélienne, que la façon dont le gouvernement gère la guerre, même dans l’esprit d’un sioniste pro-israélien qui souhaite simplement ramener les otages, est loin d’être efficace. Mais en raison de l’endoctrinement subi par l’opinion publique israélienne, le refus est perçu comme un outil trop radical pour changer la réalité.

Les raisons du refus de servir dans l’armée ont-elles changé depuis le 7-Octobre ? Y en a-t-il plus qu’avant ou moins ?

Nous constatons une augmentation du nombre de détenus pour refus de servir. À l’heure actuelle, nous avons au moins sept réfractaires confirmés incarcérés dans une prison militaire.

Depuis la guerre, il y a eu peut-être presque deux douzaines de personnes qui ont publiquement refusé, affirmant que la guerre et le génocide étaient les raisons de leur refus. Auparavant, les gens refusaient pour diverses raisons : pacifistes, opposition à l’occupation, au régime militaire dans les territoires occupés, ou à la politique gouvernementale en général.

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui refusent de s’engager dans une armée qui commet un génocide. D’autres refusent de s’engager pour des raisons plus modérées, conscients que la guerre ne répond pas aux besoins de la population israélienne. La guerre n’a aucune issue positive.

Après la déclaration de Benyamin Netanyahou affirmant sa volonté d’occuper Gaza, y a-t-il eu un changement ?

Non, depuis deux ans, des gens s’opposent aux actions de Netanyahou, mais ne parviennent pas à parler de toutes les répercussions que cela implique. Occuper la ville de Gaza revient à intensifier le génocide qui dure depuis deux ans et qui tue de plus en plus de personnes.

Le discours à l’intérieur d’Israël ne porte que sur des questions internes.

Nous l’avons vu encore aujourd’hui avec l’attaque contre l’hôpital Nasser, à Khan Younès, qui a tué des secouristes et des journalistes, et a frappé de nouveau alors que des personnes tentaient d’être secourues de l’hôpital. Malheureusement, le discours à l’intérieur d’Israël ne porte que sur des questions internes, sur la façon dont Netanyahou prolonge la guerre pour ses propres intérêts politiques ou sur les otages. Ces questions sont importantes, mais si on ne considère pas le sujet dans sa globalité, le propos semble insuffisant.

De plus en plus de personnes manifestent en Israël pour la fin de la guerre, pourquoi ?

Les personnes qui manifestent le font pour mettre fin à la guerre en échange des otages. À mon sens, beaucoup de familles d’otages sont plutôt progressistes et souhaitent la fin de la guerre. Cependant, même si on constate qu’une vaste majorité d’Israéliens soutient théoriquement la fin de la guerre, lorsqu’on les interroge sur, par exemple, le projet de Trump d’expulser les deux millions de personnes de Gaza, on voit une large majorité de soutien. La volonté de mettre fin à la guerre n’est pas due à un engagement d’arrêter la violence et les déplacements forcés mais est plutôt motivée par des intérêts personnels.

La volonté des Israéliens de mettre fin à la guerre n’est pas due à un engagement d’arrêter la violence.

Pourquoi est-ce important pour vous de rendre votre refus public ?

En tant que citoyen israélien, j’avais le choix de m’engager ou de refuser, et c’est le choix le plus important que l’on puisse faire. Et même quelqu’un qui est déjà entré dans l’armée a toujours le choix de refuser. Et les citoyens doivent le faire. C’est un devoir moral de refuser de servir alors qu’un génocide est en cours, et dans quarante ans, ils regarderont en arrière et sauront qu’ils ont pris la bonne décision.

Le monde jugera ce génocide et les gens qui ont « simplement suivi les ordres » de la même manière qu’il a regardé les nazis. C’est aussi une façon de montrer aux autres que cette action est possible. Les gens l’ignorent. Bien sûr, il y a des conséquences, que ce soit au niveau social, ou pour trouver du travail. On m’a traité de traître des dizaines, voire des centaines de fois, en prison comme à l’extérieur. Mais je préfère trahir un pays qui commet un génocide et qui a des valeurs suprémacistes, et être du bon côté de l’histoire.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous