« Il règne aux États-Unis un climat de vengeance et de guerre civile »
Spécialiste de l’extrême droite américaine et de la communauté Maga, Maxime Dafaure décrypte le discours de vendetta permis par Donald Trump.

© CHARLY TRIBALLEAU / AFP
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Aux États-Unis, vacarme des armes et silence sur leur interdiction Charlie Kirk, martyr de toutes les extrêmes droitesMaxime Dafaure prépare une thèse sur l’alt-right américaine et la manière dont ce mouvement s’inscrit dans un paysage politique extrêmement polarisé. Il travaille notamment sur le discours produit par les différents visages de cette extrême droite incarnée, entre autres, par Donald Trump.
La place de Charlie Kirk dans l’univers Maga était-elle à ce point centrale pour recueillir autant de soutien ou sa mort est-elle utilisée, instrumentalisée pour d’autres fins ?
Maxime Dafaure : Un peu des deux. Charlie Kirk occupait une place centrale dans l’écosystème Maga. Donald Trump lui-même lui a reconnu son influence décisive pour remporter l’État d’Arizona. Eric et Donald Junior ont eux aussi vanté les « capacités organisationnelles » de Charlie Kirk, pour reprendre une expression de J.D. Vance qu’il utilisait pour le complimenter. Oui, c’était un bon soldat du trumpisme.
Sa particularité, c’était d’aller sur le terrain pour conquérir des catégories sociales jeunes et qui ne sont pas toutes proches du trumpisme. C’est ce que soulignait Donald Trump quand il qualifiait sa capacité à « parler à la jeunesse ». Sa mort est instrumentalisée, et on le voit très bien avec l’utilisation du mot « martyr », tout de suite utilisé par le président américain lui-même ou par Steve Bannon. Il y a l’idée de canoniser cet évangéliste de la parole trumpiste.
Beaucoup de commentateurs s’évertuent à vanter le respect qu’éprouvait Charlie Kirk pour la liberté d’expression. En quoi est-ce une analyse erronée ?
Depuis quelques décennies, la liberté d’expression au sein des droits américaines est devenue, plus qu’un refrain, une véritable prise de guerre du débat public. Ceux qui défendent Charlie Kirk comme le héraut de la liberté d’expression ont une conception toute personnelle de ce concept et de la manière dont ce dernier l’appliquait. En effet, le spectacle qui le rendait célèbre, appelé ProveMeWrong, et qu’il organisait sur les campus étasuniens, relevait davantage du simulacre de débat. Son objectif était de provoquer les étudiant·es, de produire un discours d’indignation et provocateur afin d’obtenir des réactions virulentes et de les mettre en ligne. Ces contenus étaient visionnés plus d’un milliard de fois sur YouTube, beaucoup plus si on réunit d’autres plateformes. On provoque, on humilie, et on met en ligne. C’était cela, la technique Kirk.
Le tireur présumé a été arrêté le 12 septembre. Si des inscriptions ont été gravées sur des balles retrouvées près de la scène du crime, leur message reste sujet à interprétation. La reconstitution des faits, nécessairement plus complexe que le seul récit de Donald Trump, a-t-elle freiné la communauté Maga ?
La communauté Maga va dans un seul sens, et c’est celui qui a été édicté par Donald Trump dès son allocution : le tireur appartient à la gauche radicale, une expression très plastique qui réunit, véritablement, tout ce qui se situe à sa gauche. Immédiatement, les théories du complot ont fusé dans l’univers Maga. L’hypothèse selon laquelle il s’agissait d’un assassinat « pro transgenre » a aussi été avancée, signe supplémentaire de l’obsession transphobe des supporters du président américain. Et ce avant les premiers éléments de l’enquête révélant que le tireur présumé avait pour colocataire une femme transgenre et sans que ce fait soit avancé par les enquêteurs comme étant une forme de complicité quelconque.
On provoque, on humilie, et on met en ligne. C’était cela, la technique Kirk.
Ce qui mérite d’être souligné, c’est que ce tireur, que l’on peut situer selon les premiers et rares éléments de l’enquête comme étant plutôt à gauche, utilise aussi certains codes du terrorisme d’extrême droite, comme le fait d’écrire sur ses armes, d’utiliser des références liées à des jeux vidéo, selon une formulation provocatrice.
Vue d’Europe, la violence politique appartient à l’histoire même des États-Unis. Êtes-vous d’accord avec cette analyse ? Ce type d’assassinat relance-t-il, sur place, un débat sur la violence en politique ?
C’est un concept très large qui concerne des sujets assez différents. Dans ce continuum figure l’assassinat de Charles Kirk, mais aussi les discours sur l’immigration, sur les droits reproductifs, la sexualité, l’identité de genre, etc. Je ne justifie pas l’assassinat, mais il est inconcevable de ne pas nommer la grande violence dans le débat public et des mesures qui sont prises contre une partie de la population. Parce que ces mesures font, concrètement, des victimes. Parmi les réactions les plus marquées, ce sont les appels à la vengeance, les appels à la guerre. Certains Républicains et la plupart des Démocrates condamnent l’assassinat et appellent au calme.
Mais ce n’est pas le cas de Donald Trump. Quand il est passé sur Fox News, vendredi, il a blâmé « l’extrême gauche » en affirmant que les radicaux de droite eux, ne souhaitaient qu’un pays débarrassé de sa criminalité. Cette manière binaire et exagérée à rapprocher, me semble-t-il, de ses propos après l’attentat à Charlottesville, en août 2017. L’extrême droite avait manifesté pour protester contre le déboulonnement de la statue du général confédéré, Robert Lee. Plus tard, un néonazi avait foncé dans la foule, tuant une contre-manifestante. Donald Trump avait déclaré qu’il y avait des gens très bien des deux côtés et que la seule extrême droite n’était pas à pointer du doigt.
Au cours de la manifestation d’extrême droite organisée samedi 13 septembre en Angleterre, Elon Musk a pris la parole en vidéo. Il s’est adressé à la foule en disant : « Que vous choisissiez ou non la violence, la violence viendra à vous. Soit vous ripostez, soit vous mourez. » Comment comprenez-vous ce propos, alors que Musk continue d’irradier au sein des Maga ?
Cela s’inscrit tout à fait dans ce climat de vengeance et de préparation à la guerre civile dont je parlais plus tôt. Depuis la mort de Charlie Kirk, un grand mouvement s’est levé au sein de la droite trumpiste : il consiste à dresser des listes de personnes qui se sont réjouies ou qui ont fait du sarcasme sur la mort de Charlie Kirk. Ces messages sont recensés et envoyés par des internautes trumpistes au FBI ou à leur employeur pour qu’ils soient virés.
La communauté Maga se sent légitime de répondre aussi violemment que possible.
En ayant un président américain qui non seulement valide, mais inscrit lui-même sa vision des choses dans le débat public, et des médias comme Fox News qui s’en font les meilleurs relais, la communauté Maga se sent légitime de répondre aussi violemment que possible. Certains internautes se disent même qu’ils ont leur « Reichstag », faisant référence à l’incendie du palais où siège le parlement allemand en février 1933 et que les nazis ont attribué aux communistes. Ils considèrent qu’il est d’autant plus justifié, au vu de la cruauté de l’assassinat de Charles Kirk, d’avoir des mesures encore plus autoritaires. Voire, de lancer des vendettas. Dans l’Utah, on a retrouvé une voiture de la presse locale qui a été piégée.
Tout ceci se produit dans un contexte où, en 2024, Donald Trump a été la cible de deux tentatives de meurtre, il y a quelques mois, la résidence du gouverneur démocrate de Pennsylvanie qui a été incendiée, en juin, une élue démocrate et son conjoint·e ont été assassinés chez eux, dans leur domicile, tandis qu’un autre élu démocrati et sa femme ont été blessés. Et en parallèle, les fusillades de masse continuent. Au moment même où l’on a appris la mort de Charlie Kirk, l’une d’entre elles était en cours dans le Colorado. La violence est omniprésente dans la société, dans les discours, comme dans les actes, qui ne concernent pas que des personnalités célèbres.
La mort de Charlie Kirk mobilise-t-elle des débats sur la circulation des armes, relativement habituels lorsqu’il s’agit de tueries de masse ?
Pas vraiment : la droite américaine et le lobby des armes ne changeront jamais d’avis, que ce soit suite à l’assassinat de l’un des leurs ou après une tuerie dans un établissement scolaire menée par quelqu’un qui n’aurait jamais dû avoir une arme entre les mains. Ce sujet est bloqué depuis des années. Il fait d’ailleurs partie de la guerre culturelle en cours et Charlie Kirk était un ardent défenseur du port d’armes. C’était d’ailleurs ce sujet qu’il abordait quelques secondes avant de se faire tirer dessus.
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