Les voisins des vignes sont surexposés aux pesticides

L’étude PestiRiv, menée par l’Anses et Santé publique France, a enfin été rendue publique. Elle met en évidence que les personnes vivant à proximité des vignes sont davantage exposées aux pesticides.

Vanina Delmas  • 16 septembre 2025 abonné·es
Les voisins des vignes sont surexposés aux pesticides
Selon l’étude PestiRiv, la contamination aux pesticides est 700 % plus élevée dans la poussière chez les voisins des vignes.
© Juan Pablo Serrano / Pexels

Peu surprenantes mais essentielles. Ce sont les conclusions de la publication de l’étude PestiRiv, publiée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et Santé publique France, le 15 septembre. Après quatre années de recherche, celle-ci affirme, et même confirme, que les personnes vivant près des vignes sont surexposées aux pesticides, en particulier les enfants entre 3 et 6 ans.

Les imprégnations sont aussi indéniablement plus élevées pendant les périodes de traitement, pour la quasi-totalité des pesticides étudiés. « Quels que soient le contexte et les conditions, une proximité inférieure à 50 mètres entraîne une surimprégnation. L’impact des traitements sur la surimprégnation est observé, pour la majorité des substances, jusqu’à plusieurs centaines de mètres », détaille l’étude. Selon Santé publique France, environ 4 % de la population réside à moins de 200 mètres de zones viticoles et celles-ci concentrent près de 20 % des pesticides utilisés en métropole.

La question de fond, qui a pris beaucoup d’ampleur ces derniers mois, trotte dans toutes les têtes : les personnes vivant à proximité des vignes sont-elles réellement en danger et peuvent-elles développer un cancer ? « Même si PestiRiv n’est pas une étude d’évaluation des risques sanitaires – elle sera complétée par d’autres travaux –, les données vont nous permettre de progresser dans la compréhension des expositions en vie réelle et des facteurs qui influencent ces expositions. Ceci permettra aux institutions publiques des mesures d’adaptation afin de réduire ces expositions et les effets potentiels sur la santé », signale d’emblée Benoît Vallet, directeur général de l’Anses, en insistant sur la robustesse des données.

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L’étude a été menée auprès de 1 946 adultes et 742 enfants, sur 265 sites répartis dans six régions viticoles en métropole. Deux groupes de population ont été scrutés : des adultes et enfants vivant en zone viticole, c’est-à-dire à moins de 500 mètres des vignes et plus d’un kilomètre d’autres cultures, et un même échantillon vivant en dehors de ces zones.

Des échantillons ont été prélevés lorsque les traitements phytosanitaires sont moins fréquents (d’octobre 2021 à février 2022) puis pendant la période de traitement sur les parcelles (de mars à août 2022). En complément de ces mesures d’imprégnation, de longs questionnaires ont été remplis par les participants afin de déterminer l’ensemble des facteurs d’exposition dans leurs habitudes de vie, de consommation, leur lieu de travail…

On observe des niveaux jusqu’à 12 fois plus élevés dans l’air ambiant chez les voisins de vignobles.

Clémence Fillol

56 substances pesticides ont été recherchées dans l’urine, les cheveux, la poussière, l’air intérieur et l’air ambiant, selon une « liste prioritaire » établie en 2017 : des substances quasi exclusivement utilisées en viticulture, comme le folpel ou le métirame, ainsi que des substances non exclusives à la vigne (le fosétyl-aluminium, la spiroxamine ou le glyphosate).

Le premier objectif était de comparer l’imprégnation des voisins de vignobles avec celle des riverains les plus éloignés. « Les niveaux de contamination peuvent augmenter jusqu’à 45 % dans les urines, selon les pesticides mesurés, et atteindre plus de 1 000 % dans les poussières. On observe des niveaux jusqu’à 12 fois plus élevés dans l’air ambiant », décrypte Clémence Fillol, responsable de l’unité surveillance des expositions à Santé publique France.

Le deuxième objectif était d’observer la situation en période de traitement des vignes aux produits phytosanitaires. Résultat : les niveaux de contamination peuvent augmenter de 60 % dans les urines, et jusqu’à 700 % dans les poussières.

Le terrain ayant eu lieu quatre ans après la liste socle des produits recherchés, et la restitution des résultats huit ans plus tard, la réglementation des substances a évolué. Certains produits ont pu être retirés du marché entre-temps, comme les néonicotinoïdes. Malgré tout, la conclusion est sans appel : « Les facteurs qui influencent le plus l’exposition des foyers sont les pratiques agricoles : l’exposition augmente avec la quantité de produits utilisés et lorsque la distance entre logement et vigne diminue », a répété Ohri Yamada, chef de l’unité phytopharmacovigilance de l’Anses, pendant la conférence de presse.

Schéma issu du rapport PestiRiv

L’Anses et Santé publique France mettent en avant certaines pratiques individuelles pouvant réduire l’exposition : se déchausser en entrant chez soi, éviter d’ouvrir les fenêtres, d’étendre son linge dehors, de consommer les aliments du jardin et les œufs des poulaillers domestiques… Mais surtout, elles recommandent de « réduire au strict nécessaire » le recours aux pesticides et une « mise en œuvre ambitieuse » de la stratégie nationale de réduction des pesticides Écophyto 2030.

Contre-offensive viticole

Les professionnels du vin ont anticipé les critiques en mettant en avant les efforts fournis par la filière en matière de transition écologique depuis plusieurs années. « Nous pouvons aller encore plus loin mais nous ne réussirons pas seuls ! Les firmes qui fabriquent les pesticides doivent faire évoluer leurs produits avec des solutions alternatives », a déclaré Thiébault Huber, président de la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne (CAVB).

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Quant aux défenseurs des produits phytosanitaires, ils ont immédiatement dégainé l’argument attendu de l’absence de preuve du risque sanitaire. « Cette étude montre sans ambiguïté que les données d’exposition constatées restent largement dans les marges de sécurité prévues par les autorisations de mise sur le marché, elles-mêmes extrêmement protectrices en matière de santé », a écrit Yves Picquet, président de Phyteis, lobby des pesticides en France.

Il ne faut pas que ce constat indiscutable reste sans effets : il faut au contraire que le nouveau gouvernement lance un plan de protection des riverains

Françoise Veillerette

Pour Sylvie Nony, vice-présidente d’Alerte pesticides Haute Gironde, cette étude ne fait que confirmer ce qu’on savait déjà. Elle reste vigilante sur la suite, notamment sur les liens entre expositions aux pesticides et développement de maladies. « Ils préconisent de faire davantage de recherche, alors que l’étude de l’Inserm de 2021 compilant 3 500 études montre les liens de causalité. De plus, pour une recherche il faut dix ans, au bout desquels il n’y a pas de solution, et seulement l’idée de refaire encore de nouvelles recherches… Il y a déjà du solide, et de quoi alerter ! », clame-t-elle.

L’ONG Générations Futures, qui œuvre depuis de nombreuses années sur le sujet, espère que cette étude ne restera pas lettre morte. « Il ne faut pas que ce constat indiscutable reste sans effets : il faut au contraire que le nouveau gouvernement lance un plan de protection des riverains comprenant une vraie relance d’Écophyto, une expansion immédiate des zones de non-traitement par les pesticides d’au moins 100 mètres, une priorisation à la production biologique en périphérie des zones habitées et un retrait rapide des substances suspectées CMR (NDLR : cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction humaine) et neurotoxiques », souligne François Veillerette, porte-parole de l’ONG. La volonté politique sera-t-elle à la hauteur de ces enjeux ?

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Écologie Santé
Publié dans le dossier
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