Affaire Sarkozy : un trumpisme d’atmosphère

Les attaques contre l’État de droit de la part des soutiens de l’ex-chef d’État suite à sa condamnation dans « l’affaire libyenne » ébranlent dangereusement la démocratie.

Denis Sieffert  • 30 septembre 2025
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Affaire Sarkozy : un trumpisme d’atmosphère
Nicolas Sarkozy au tribunal de Paris, le 27 mars 2025.
© Alain JOCARD / AFP

Que n’a-t-on pas entendu ? De la « haine » de la juge pour Nicolas Sarkozy, au « coup d’État judiciaire » (Henri Guaino sur France 2), en passant par la fine allusion au « pétainisme » de la magistrature en 1940 (Guillaume Durand dans La Tribune Dimanche). Depuis la condamnation de l’ancien président par le tribunal correctionnel de Paris, c’est tout une classe qui se rebelle contre la justice. Un clan en vérité.

On peut recenser depuis une semaine tous ceux qui sont redevables de quelque service rendu, d’une promotion, et parfois d’une carrière, à ce personnage emblématique des relations de pouvoir sous la Ve République. Ils se relaient dans les médias pour payer leur dette. L’homme, on le connaît. Multirécidiviste, condamné dans les affaires Bygmalion et Bismuth, il est inaccessible à la honte, et capable de toutes les effronteries. Il ment à vous fendre le cœur.

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Mais pour une fois, ce ne sont pas des lampistes qui payent, comme ce pauvre Jérôme Lavrilleux, coupable et victime du même système, en larmes après sa condamnation dans l’affaire Bygmalion en 2021. C’est le chef. Et ses hommes liges, qui ne sont sans doute pas allés chez Kadhafi en 2005 pour parler botanique avec le financier du dictateur libyen, par ailleurs condamné pour avoir été le commanditaire de l’attentat contre le DC-10 d’UTA, sont à ce point soumis qu’ils n’ont pas un mot de ressentiment contre celui dont ils ont été les missi dominici.

D’un côté, des personnages ultra-médiatisés assénant deux ou trois slogans faciles à retenir, de l’autre, des journalistes approximatifs.

Il est vrai que Claude Guéant et Brice Hortefeux lui doivent tout. Leur esprit de sacrifice témoigne d’une certaine morale. Celle du clan. Tout ce personnel n’a sans doute plus d’avenir. Mais il peut encore ébranler l’État de droit, mettre en danger une juge aujourd’hui menacée de mort sur les réseaux sociaux.

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C’est ici qu’il faut s’interroger sur notre système médiatique. Au sortir du tribunal, tous les micros se sont tendus vers Sarkozy, qui a pu prendre à témoin la France entière de l’injustice qui le frappait. Inévitable. Mais était-il indispensable de redonner la parole, le soir même, à ses ombres portées invitées aux journaux télévisés pour répéter, sans contradicteur, le plaidoyer pro domo du martyr. Car le combat est inégal. D’un côté, des personnages ultra-médiatisés assénant deux ou trois slogans faciles à retenir, de l’autre, des journalistes approximatifs. D’un côté, des contrevérités expéditives, habilement formatées pour les médias, de l’autre la référence vague à un jugement que les juges ont développé sur quatre-cents pages.

Désarroi et conséquences

Le droit est une discipline aride et exigeante. La moindre complexité, la moindre nuance peut être exploitée par des gens de mauvaise foi comme une contradiction. Voir ce document de Mediapart que le tribunal n’a pas retenu, avouant même qu’il est « probablement un faux » – ce qu’il n’est sans doute pas – mais qui, surtout, n’est en rien le pilier principal de l’accusation. On peut s’interroger sur le désarroi du système judiciaire dans un affrontement entre deux parties qui n’ont ni les mêmes règles, ni la même morale.

Il y a tout lieu de craindre que la campagne actuelle ait des conséquences durables sur la démocratie.

Parmi les arguments du clan Sarkozy, l’idée qu’il ne devait pas être incarcéré parce qu’on n’a pas à craindre qu’il échappe à la justice. Comme si le « caractère d’une exceptionnelle gravité » du délit (association de malfaiteurs, résultant du pacte corruptif mis en œuvre par ses deux amis) ne méritait pas sanction. Étonnant de la part d’un homme qui a construit toute sa carrière sur la notion de justice punitive pour les petits délinquants, et un éloge rageur de la prison pour les voleurs de pommes. Il y a le clan, et il y a ceux qui voient midi à leur porte. Marine Le Pen, qui a elle aussi sérieusement maille à partir avec la justice, a volé au secours de Sarkozy.

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À gauche, on s’est montré d’une louable prudence. Olivier Faure n’a rien dit, se souvenant sans doute qu’après la condamnation du trésorier du PS, Henri Emmanuelli, dans l’affaire Urba, en 1997, les principaux dirigeants d’un parti alors au pouvoir avaient eux aussi tiré à boulets rouges sur les juges. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il a observé un silence inhabituel. Précisons tout de même que le dossier de financement de la campagne du candidat LFI n’a rien de comparable avec l’affaire Sarkozy. Il n’y avait ni fréquentation coupable d’un dictateur, ni dialogue avec un grand terroriste impliqué dans la mort de 170 personnes.

Mais le pire dans les attaques contre les juges auxquelles se livrent ces jours-ci les avocats amateurs de Sarkozy, c’est le contexte. Nous sommes dans une période de remise en cause généralisée de l’État de droit. Nous sommes à l’époque de Donald Trump, et il y a tout lieu de craindre que la campagne actuelle ait des conséquences durables sur la démocratie.

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