Jusqu’ici, tout va bien en Macronie
C’est l’histoire d’un président de la République qui ne cesse de chuter, mais s’acharne à faire comme si de rien n’était. Avec un petit air absurde de devise des Shadoks : « Ce n’est qu’en essayant continuellement que l’on finit par réussir. Autrement dit : plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. »
dans l’hebdo N° 1881 Acheter ce numéro

© Maxime Sirvins
C’est l’histoire d’un homme qui ne fait que chuter depuis trois ans. Un homme dont la cote de popularité n’a jamais été aussi basse depuis huit ans. Un chef de l’État qui, élection après élection, se prend raclée sur raclée. Un président de la République qui voit ses premiers ministres être censurés un par un. Le mec, au fur et à mesure de sa chute, se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien…
Même après la débâcle du gouvernement de François Bayrou. On prend les mêmes et on recommence. Sébastien Lecornu. Les mêmes éléments de langage (EDL) recyclés : un fin négociateur qui sait parler avec tout le monde. Un homme qui saura faire des compromis. Jongler entre les envies de Bruno Retailleau et d’Olivier Faure. Et même avec celles de Marine Le Pen, avec qui le nouveau premier ministre n’hésite pas à dîner secrètement. Jusqu’ici, tout va bien.
Prendre son temps. Près d’un mois va séparer la nomination de l’homme de 39 ans, fidèle parmi les fidèles d’Emmanuel Macron, de son discours de politique générale, d’abord annoncé le 2 octobre puis reporté au 6 ou 7 octobre. Les EDL sont déjà prêts : c’est le temps de la négociation. De trouver le moyen de la « rupture ».
Plus tard arriveront les choix, plus il sera facile de mobiliser l’urgence de doter le pays d’un budget pour 2026.
Pour l’instant, ce temps se résume à un long monologue des personnes reçues à Matignon. Sophie Binet, Olivier Faure, Marine Tondelier : tous ressortent en ayant exposé leurs demandes. Lecornu, lui, ne bronche pas. Il écoute, laisse passer les jours. Finalement, la seule rupture se fait dans le silence. Lecornu sait aussi que le temps joue en sa faveur. Plus tard arriveront ses choix, plus il sera facile de mobiliser l’urgence de doter le pays d’un budget pour 2026. Et de dégainer, en force, le 49.3.
Et cela ne lui pose pas de problèmes si un gouvernement démissionnaire reste aux manettes entre-temps. Le concept d’affaires courantes, finalement, n’est qu’une notion « jurisprudentielle ». On le voit bien ces derniers jours : donner consigne aux préfets de faire respecter un « principe de neutralité des services publics » en interdisant à de nombreux édiles de hisser le drapeau palestinien sur leur mairie le jour de la reconnaissance officielle de l’État de Palestine par la France. Envoyer 80 000 forces de l’ordre dans la rue pour une mobilisation intersyndicale le 18 septembre – du jamais vu. Jusqu’ici tout va bien.
La même petite musique
Affoler. Avec la guerre. Avec la dette. La première n’a pas empêché la Macronie de se prendre un vent aux élections européennes. La seconde n’a pas plus convaincu. François Bayrou, l’homme qui confond le budget d’un État avec celui d’un foyer, peut en témoigner. Nul doute que, le 6 ou 7 octobre, Sébastien Lecornu utilisera la même petite musique. Il y a fort à parier qu’il fera un savant mélange des deux.
L’un pour justifier l’économie de guerre. L’autre pour tenter, encore, de réduire les dépenses sociales.
Ligne rouge absolue, ne pas toucher à la politique économique. Et les mêmes pantins pour l’appliquer.
Céder. Un peu. Pour éviter une censure, il faudra bien donner quelques gages aux socialistes. Une taxe sur les plus riches ? Peut-être, en retirant les biens professionnels. Sans intérêt, mais pour le symbole. En espérant que cela passe, pour mieux s’acharner sur l’assurance-chômage, souffre-douleur du macronisme. Surtout, ligne rouge absolue, ne pas toucher à la politique économique menée depuis huit ans. Totem absolu, ridicule obsession. Et les mêmes pantins pour l’appliquer. On parle, par exemple, d’un retour de Bruno Le Maire. Jusqu’ici tout va bien.
Ignorer, enfin. Le million de personnes dans la rue qui demande respect et dignité, et exprime une colère sociale de plus en plus intense. Silence radio à l’Élysée. Stratégie classique. Réprimer et passer en force. Ordonnance travail, gilets jaunes, réforme des retraites, la méthode est connue et enseignée chez les macronistes. Au fur et à mesure de leur chute, ils se répètent sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. Mais l’important, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage.
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