La géopolitique fiction de Macron
En Ukraine comme en Israël-Palestine, le président français s’occupe d’avenirs hypothétiques, pas du présent.
dans l’hebdo N° 1879 Acheter ce numéro

© Ludovic MARIN / POOL / AFP
Tout le monde est à peu près d’accord sur le diagnostic, sauf bien sûr l’intéressé. Emmanuel Macron est un médiocre politique. La valse des premiers ministres, une dissolution hasardeuse en 2024 et un dogmatisme économique et social coulé dans le béton n’ont pas peu contribué à la crise politique que traverse notre pays. Mais s’il est un domaine dans lequel l’encore président de la République peut faire valoir un bilan honorable, c’est la politique étrangère. Si on voulait être cruel, on dirait qu’il réussit peu mais qu’il essaie beaucoup. Deux demi-succès sont à porter à son crédit. C’est maintenant une certitude, le 22 septembre, lors de l’Assemblée générale de l’ONU, la France va reconnaître l’État de Palestine. Et elle va entraîner dans son sillage le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Belgique. Assez pour mettre hors de lui Netanyahou.
Il aurait fallu que l’acte politique soit assorti de sanctions à l’encontre d’Israël.
L’autre succès, plus mitigé, est l’engagement, obtenu de haute lutte, de 26 États occidentaux à assurer la sécurité de l’Ukraine après un hypothétique cessez-le-feu. Un engagement à géométrie très variable, les uns acceptant d’envoyer des troupes sur le terrain, les autres limitant leur soutien à une aide logistique. Mais dans les deux cas, au Proche-Orient comme en Ukraine, force est de constater que ces deux succès diplomatiques n’auront aucun effet sur le terrain. Ils ne sauveront dans l’immédiat aucune vie. S’agissant de la Palestine, la reconnaissance de l’État est pourtant plus qu’un symbole. C’est un acte politique et juridique majeur. Un pari qui oblige la France pour l’avenir. À condition qu’il y ait un avenir.
Car le génocide est en cours. L’aviation israélienne s’attaque ces jours-ci à la ville même de Gaza, où des immeubles étaient encore debout. Et c’est ici les limites très critiquables de l’action d’Emmanuel Macron. Il aurait fallu que l’acte politique soit assorti de sanctions à l’encontre d’Israël comme la rupture de l’accord d’association qui unit depuis 2000 l’Union européenne à l’État hébreu. Certes, cette décision ne dépend pas que de la France, et l’Allemagne, pour ne citer qu’elle, s’y oppose. Mais je ne sache pas que la France ait pris franchement position. Et d’autres mesures de boycott pourraient être décidées que la France pourrait assumer souverainement. Or, non seulement il n’en est pas question, mais le gouvernement traque toujours toute action en provenance de BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions).
En même temps la reconnaissance de l’État de Palestine, et en même temps la répression de tout ce qui s’apparente à des sanctions contre Israël.
Macron nous parle donc d’un avenir très incertain, pas du présent. Dans un contexte très différent, c’est un peu le même schéma qui se dessine en Ukraine. Un large consensus, sous l’impulsion de la France, offre quelques (fragiles) garanties pour le jour d’après, mais rien qui puisse aujourd’hui donner un coup d’arrêt à Poutine. Au contraire, celui-ci intensifie son offensive jusqu’à s’attaquer aux bâtiments gouvernementaux. Macron en est donc réduit à faire de la géopolitique fiction : quand Israël mettra un terme au massacre… Et quand Poutine voudra bien renoncer à son projet impérialiste…
Dans les deux conflits, il fait le constat de la centralité de Trump. Seul le président des États-Unis pourrait agir sur le réel. Et on voit bien qu’il ne le veut pas. À Gaza, il rêve de son grand projet immobilier. Et tant pis si cela doit passer par l’extermination des Palestiniens. Avec Poutine, il joue à « retenez-moi où je fais un malheur ». En vérité, Trump a trop d’affinités antidémocratiques avec le dictateur russe pour le combattre frontalement. Or, parmi les « 26 » qui se sont engagés dans une sorte de pacte de « réassurance » pour l’Ukraine, nombreux sont ceux qui attendent, pour préciser la nature de leur engagement, la promesse d’un soutien américain. Et Trump est un peu l’âne que l’on veut faire boire alors qu’il n’a pas soif.
Gratifions tout de même Macron d’un demi-succès quand on se souvient qu’au mois de février il n’avait réussi à convaincre que cinq pays. Le 4 septembre, ils étaient 26 à l’Élysée. La vérité, c’est que le président français est beaucoup plus déterminé à soutenir l’Ukraine qu’à s’opposer à la politique meurtrière du gouvernement israélien. C’est que sur ce sujet, il n’est pas prêt – en aurait-il seulement l’intention – à affronter la droite, l’extrême droite et le Crif. On retrouve là le médiocre politique qui fait du « en même temps ». En même temps la reconnaissance de l’État de Palestine, et en même temps la répression de tout ce qui s’apparente à des sanctions contre Israël. Netanyahou est en colère, mais il n’a pas trop de souci à se faire.
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