ONU : l’Europe à l’épreuve de l’affaire des visas palestiniens
Le refus de Trump d’accorder des visas à l’Autorité palestinienne est un défi aux 27. Que vont faire les Européens, à part exprimer leur indignation ?

Le refus du département d’État américain d’accorder des visas à la délégation palestinienne pour l’Assemblée générale de l’ONU de mi-septembre dit beaucoup de choses. Au comble de l’impérialisme, Donald Trump s’arroge le droit d’autoriser ou d’interdire la participation des États membres ou observateurs à l’instance supérieure de l’ONU, oubliant que l’organisation internationale jouit de l’extraterritorialité. Un candide s’étonnerait que l’inoffensif président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, soit interdit d’escale sur le sol américain alors que le criminel premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, poursuivi par la Cour pénale internationale, y est le bienvenu. Beau pied de nez à la face du monde !
Trump et Netanyahou donnent raison au Hamas, dont ils font le jeu aux yeux de la population palestinienne.
En première intention, il s’agit évidemment de torpiller l’initiative franco-saoudienne de reconnaissance de l’État palestinien. Le porte-parole du département d’État, un certain Tommy Pigott, en a fait explicitement l’aveu dans son communiqué. Mais si l’on creuse un peu plus, on aperçoit d’autres motivations. Le président américain attaque l’Autorité palestinienne héritière d’Arafat qui, en 1988, a reconnu Israël, et consenti le plus gros sacrifice de l’histoire de ce conflit en renonçant à 78 % du territoire de la Palestine historique. C’est toute la logique israélienne qui se manifeste ici, celle qui prévaut depuis trente-cinq ans, et qui consiste à ruiner le courant modéré et laïque du mouvement palestinien pour favoriser les organisations terroristes.
La manœuvre est d’autant plus grossière que Mahmoud Abbas a depuis longtemps mordu le trait du compromis avec Israël pour collaborer sans retenue avec l’appareil sécuritaire de l’État hébreu. Le voilà bien mal payé en retour. Trump et Netanyahou donnent raison au Hamas, dont ils font le jeu aux yeux de la population palestinienne, parce qu’ils ne cessent de vouloir porter le conflit sur le terrain militaire. Mais rien de tout ça n’est très nouveau. Ce que l’on attend maintenant, c’est la réaction de la France et de ses partenaires européens. En novembre 1988 déjà, Ronald Reagan avait interdit l’entrée d’Arafat sur le sol américain. Les instances onusiennes avaient alors trouvé la parade en délocalisant à Genève l’assemblée de l’ONU. Il est vrai qu’Arafat avait un énorme prestige international. Six mois plus tard, il allait être reçu comme un chef d’État par François Mitterrand. Nous étions en pleine intifada dans les territoires palestiniens.
Les images d’enfants désarmés faisant face aux chars israéliens avaient retourné l’opinion internationale. C’était, comme on dit, une autre époque. Aujourd’hui, que vont faire les Européens, à part exprimer leur indignation ? Ce qui a peu de chance de bouleverser Donald Trump, l’homme qui a déjà prévu d’installer sur les cadavres de Gaza le projet immobilier de ses rêves. Il a fallu que ce soit le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Xavier Bettel, qui demande qu’une session spéciale de l’AG de l’ONU soit organisée à Genève, comme en 1988. Mais les Vingt-Sept n’en sont pas à suivre cette suggestion.
L’ONU peut-elle encore siéger dans un pays qui ne la reconnaît pas, et dont le pouvoir n’est pas loin de la considérer comme terroriste ?
Alors qu’elle devrait être une force, l’Union européenne se révèle être un instrument de paralysie. Depuis le début du génocide à Gaza, le blocage de quelques pays, dont l’Allemagne, suffit à empêcher la suspension de l’accord d’association appliqué depuis 2000 entre Israël et l’Union européenne, seule sanction qui pourrait amener le gouvernement Netanyahou à arrêter le massacre. Au passage, on se demande aussi ce qu’on attend pour déplacer définitivement le siège de l’ONU à Genève. L’ONU peut-elle encore siéger dans un pays qui ne la reconnaît pas, et dont le pouvoir n’est pas loin de la considérer comme terroriste ?
Une forte décision de cette nature infligerait un camouflet au duo infernal Trump-Netanyahou. Mais il faudrait pour cela que l’Europe se réveille, et entraîne les pays arabes qui ne brillent pas non plus par leur courage. Enfin, on pourrait imaginer que le fameux « front anti-occidental » qui se réunissait ces jours-ci à Pékin puisse réagir à la décision américaine. Mais les autocrates, invités au grand complet par Xi Jinping dans la capitale chinoise, Vladimir Poutine en tête, ne vont pas se bousculer pour défendre le droit international et l’ONU. Ceux-là livrent un combat commercial à Trump, mais ils partagent avec lui une franche détestation de l’Europe, de la démocratie et de la liberté des mœurs. Au fond, moyennant quelques concessions sur les droits de douane, Trump aurait pu figurer sur la photo de Pékin entre Xi, l’Indien Modi et Poutine.
P.-S. : Sur le sujet, lire Israël Palestine, le déni du droit international, l’excellente analyse de l’ancien ambassadeur Yves Aubin de la Messuzière, disponible aux éditions Hémisphères / Maisonneuve & Larose.
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