« La Petite Dernière », lutter pour être soi-même

Hafsia Herzi dresse le portrait d’une jeune femme lesbienne et musulmane, incarnée par Nadia Melliti, récompensée à Cannes.

Christophe Kantcheff  • 21 octobre 2025
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« La Petite Dernière », lutter pour être soi-même
© June Films / Katuh Studio / Arte France / MK2 Films

La Petite dernière / Hafsia Herzi / 1 h 47.

Comment être lesbienne et musulmane (et croyante), alors que l’islam condamne l’homosexualité ? C’était une question majeure du premier roman de Fatima Daas, La Petite Dernière, que l’on retrouve au premier plan dans l’adaptation éponyme qu’en a faite Hafsia Herzi pour son troisième long métrage, présenté en compétition. Passage de l’écrit à l’écran réussi, qui n’était a priori pas aisé car le texte n’est pas construit sur une ligne narrative. La cinéaste en a élaboré une, qui constitue l’axe principal de son film : il s’agit du parcours que Fatima, reconnaissant en elle son attirance pour les filles, va peu à peu effectuer pour se libérer de l’interdit, jusqu’à un certain point.

Le film est scandé par le rythme des saisons qui correspond aux phases de progression de Fatima dans l’acceptation de son identité sexuelle. Certains passages sont attendus (au lycée, elle casse la figure au premier qui la traite de lesbienne ; elle abandonne son petit ami…), d’autres le sont beaucoup moins, comme celui-ci : par le biais d’une application, elle a donné un rendez-vous nocturne à une femme. Fatima entre dans sa voiture. Fermée comme une huître, le visage en partie dissimulé sous sa casquette (elle la porte volontiers, cachant ainsi sa magnifique chevelure), la jeune fille ne veut pas davantage que recueillir des informations sur les pratiques sexuelles entre deux femmes.

Lignes de crête

Difficile de faire son outing dans sa famille, plus encore quand elle est musulmane. Celle de Fatima est aimante (on retrouve l’atmosphère du précédent opus d’Hafsia Herzi, Bonne mère), à laquelle elle donne toute satisfaction avec le bac qu’elle décroche et les études de philosophie qu’elle entreprend. La cinéaste montre parfaitement la peur qui tenaille Fatima de perdre tout cet amour en avouant ce qu’elle cache.

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Cette tension entre appel intime du désir et autocensure de soi est incarnée avec une intensité inouïe par une nouvelle venue au cinéma, Nadia Melliti, récompensée par le prix d’interprétation à Cannes. Coupante comme une lame quand il s’agit d’exprimer une forme de dureté, mais vibrante et lumineuse dans l’émotion et la sensualité. C’est le cas en particulier quand elle fait ses premiers pas dans le grand amour avec une jeune femme d’origine coréenne, Ji-Na (Ji-Min Park, déjà remarquée dans l’excellent Retour à Séoul, de Davy Chou). Ou quand elle s’affirme totalement au sein d’une manifestation LGBT, par exemple.

On aurait aimé davantage d’âpreté dans la mise en scène, dans un film qui a pour lui de résonner de façon très contemporaine.

On aurait aimé davantage d’âpreté dans la mise en scène, dans un film qui a pour lui de résonner de façon très contemporaine, offrant une juste représentation de la jeunesse urbaine et bigarrée. Elle témoigne cependant de bonnes idées. Comme cette symétrie faite entre deux longues séquences d’explication, l’une avec un médecin traitant de l’asthme (Fatima en est atteinte), qui apprend à mieux respirer, l’autre avec un imam prêchant le tabou de l’homosexualité, qui étouffe. Deux lignes de crête qui symbolisent les affres de l’héroïne de La Petite Dernière.

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Cinéma
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