Dans la vraie vie, il y a juste des gens
Pour cette nouvelle chronique d’humour dans Politis, le stand-upeur Ameziane se demande comment le mot « woke » a bien pu se retrouver diabolisé au même rang que « facho ».
dans l’hebdo N° 1885 Acheter ce numéro

Avez-vous remarqué que la droite et la gauche s’effacent ? Même les chaussettes n’ont pas l’audace de disparaître toutes les deux en même temps. Depuis la Révolution, cette dichotomie structure les « débats » de tous vos amis bourrés, tous ces « intellectuels » de soirée qui attendent 3 g pour « parler politique ». Aujourd’hui, ça sent la fin de soirée et le « débat » a évolué en pugilat. Les deux camps ne se respectent plus, fini de se qualifier poliment de « gauche » ou de « droite », ils s’insultent : « wokiste » et « facho ».
Et comme dans une dispute d’adolescents, chacun est obligé de choisir un camp. À noter tout de même que choisir le fascisme, c’est se ranger derrière l’ami qui a déclenché la bagarre, a frappé tout le monde puis t’explique que c’est de ta faute et de celle de Rachid. J’ai jamais compris pourquoi on choisit ce camp. Parfois, je pense contre moi-même.
Inconsciemment, j’ai compris que j’avais pour certains une gueule de menace.
Pourquoi ne pas aller voir du côté des « fachos » ? Peut-être qu’ils ont raison ? Et si mes propres idées œuvraient contre moi ? Puis je me rappelle que je suis homosexuel, kabyle, fils d’immigrés de la classe moyenne basse… Disons que je n’ai pas vraiment le choix. Peut-être que les « fachos » n’ont jamais connu un contrôle au faciès, ou peut-être qu’on ne leur a jamais appris à ne pas faire de vagues de peur d’une bavure.
J’ai compris que la couleur de peau représentait une menace armée très tôt. Inconsciemment, j’ai compris que j’avais pour certains une gueule de menace. Je n’ai jamais commis le moindre délit – il y a eu des joints, certes, mais même Manuel Valls a déjà fumé –, jamais eu une heure de colle, mais j’ai appris à faire profil bas comme si j’étais un malfrat. Vivre sur le qui-vive sans les avantages du crime, je vous le dis : c’est nul.
On dit souvent que « tous les policiers ne sont pas racistes ». C’est vrai. Il faut le dire : not all men. Pas tous les pangolins, mais le covid c’est quand même à cause d’un pangolin. L’autre camp est quand même plus cool. À l’origine, « woke » voulait juste dire « éveillé aux injustices ». Rien de mystique. Pas de tofu inclusif ni de licornes intersexes. Juste des gens qui aimeraient de la justice. Comment des idées humanistes peuvent-elles être aussi diabolisées ?
Le vrai problème, c’est qu’on nous force encore à choisir entre deux caricatures : les ‘fachos’ et les ‘wokistes’.
Est-ce par le même système qui diabolise les femmes qui parlent ? Le mot « woke » a été diabolisé au même rang que « facho ». Une prouesse technique réalisée sans nul doute avec la participation exceptionnelle des médias Bolloré. Le « wokisme » est une insulte « praudstienne » – pour la création de ce néologisme, je me suis librement inspiré de l’adjectif « proustien » et je l’ai habilement adapté en référence au meilleur d’entre nous. Admirez la prouesse !
Le vrai problème, c’est qu’on nous force encore à choisir entre deux caricatures : les « fachos » et les « wokistes ». Mais, dans la vraie vie, il y a juste des gens qui ne veulent plus se faire écraser – et d’autres qui trouvent ça normal.
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