Lecornu renommé : Macron, un forcené à l’Élysée
Sébastien Lecornu est, de nouveau, premier ministre. Après sa démission lundi, ce fidèle parmi les fidèles d’Emmanuel Macron rempile à Matignon. Nouvel épisode d’une crise politique majeure après une journée inédite.

Un jour sans fin. Encore. Après cinq jours de tractations politiciennes, le chef de l’État décide de renommer Sébastien Lecornu à Matignon. Le même qui, au matin du lundi 6 octobre, était à l’Elysée pour donner sa démission à Emmanuel Macron. En cinq jours, celui qui se définit comme un « moine-soldat » du macronisme est passé de premier ministre démissionnaire, à ultime négociateur puis, sur les coups de 22 heures ce vendredi, de nouveau locataire de Matignon. Le tout, après 24 dernières heures inédites dans l’histoire de la Ve République.
1 h 53 du matin, dans la nuit du 9 au 10 octobre. Les boîtes mail sonnent. Objet : convocation à l’Élysée. Panique au sommet de l’État. En une semaine seulement, le premier ministre Sébastien Lecornu a démissionné quelques heures après la nomination de son gouvernement, le « socle commun » a implosé sous la pression de la droite, le premier ministre démissionnaire s’est improvisé négociateur, les appels à la démission du président se multiplient… Emmanuel Macron doit reprendre la main.
Pour sortir la tête de l’eau, le chef de l’État convie l’ensemble des forces politiques, à l’exception de La France insoumise (LFI) et du Rassemblement national (RN) représentées à l’Assemblée nationale et au Sénat pour un « moment de responsabilité collective », selon l’élément de langage élyséen.
« Combinaison politicienne »
Depuis le congrès national des pompiers au Mans (Sarthe), Marine Le Pen tente de rompre son isolement en ciblant Emmanuel Macron : « Est-ce qu’il est vraiment du rôle du président de la République d’organiser ainsi une réunion de marchand de tapis dans l’unique objectif d’essayer d’éviter des élections qui sont pourtant la voie prévue par la Constitution lorsqu’il existe un blocage tel que nous le connaissons ? »
Lors d’un point presse convoqué en début de journée, Jean-Luc Mélenchon veut mettre la pression sur le chef de l’État : « Dans quelques heures, le président de la République va annoncer une décision essentielle. Elle ouvrira une nouvelle saison politique, soit en nous enfonçant dans la voie sans issue d’une nouvelle combinaison politicienne censurée d’avance, soit en permettant à notre pays de se reprendre en main lui-même par ses votes. »
Pour les formations politiques conviées par le président, le rendez-vous est donné à 14 h 30 au Château. Autour de la table ovale du salon des Ambassadeurs, les anciens premiers ministres Gabriel Attal (Renaissance) et Édouard Philippe (Horizons), les patrons de la droite Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez, Marc Fesneau pour le Modem, Paul Christophe pour Horizons, le centriste Hervé Marseille, l’ex-ministre Nathalie Delattre (Parti radical) et le patron des députés Liot Laurent Panifous.
À gauche, les communistes Fabien Roussel et Stéphane Peu, les écolos Marine Tondelier et Cyrielle Chatelain, les socialistes Olivier Faure et Boris Vallaud ainsi que le leader du Parti radical de gauche Guillaume Lacroix ont fait le chemin pour se retrouver au palais présidentiel. Quant à Emmanuel Macron, il est assisté par Emmanuel Moulin, le secrétaire général de l’Elysée.
Aucune réponse
Lors de cette discussion, chacun tient ses positions. Bruno Retailleau se montre pour le moins obtus. Le ministre de l’Intérieur démissionnaire ne veut pas voir la gauche au pouvoir, dit ne pas accepter un premier ministre macroniste et affirme que le « socle commun » tel qu’il existe aujourd’hui est mort. Édouard Philippe cible directement Emmanuel Macron, ce président qui devrait s’en aller pour sortir le pays de la crise. Le maire du Havre n’ose même pas lever la main quand le président demande quels participants se considèrent comme faisant partie de ses soutiens, d’après un participant. Ambiance.
La crise est grave. Pour en sortir, il faut accepter que la politique du président soit remise en cause.
F. Roussel
En bloc, la gauche revendique le pouvoir. Et tente de mettre sur la table les questions de pouvoir d’achat, de justice fiscale et des retraites. Sans réponse. « La crise est grave. Pour en sortir, il faut accepter que la politique du président soit remise en cause, il faut un changement, avance le premier des communistes, Fabien Roussel, à la sortie de cette réunion. Dans les réponses du président de la République, nous n’avons pas vu d’éclaircie. »
Le patron du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, est atterré : « Nous avons assisté à une tentative de rabibochage entre les uns et les autres. Mais sur les questions de fond que posent les Français, sur le pouvoir d’achat, la santé, l’éducation, il n’y a eu aucune réponse. Seule la politique politicienne les intéresse. »
Refus d’une cohabitation
Emmanuel Macron refuse de bouger d’un centimètre. Seule mini concession : décaler la mesure d’âge de la réforme des retraites d’une petite année. Pas d’abrogation, ni de suspension. Rien, aussi, sur l’accélération de la réforme Touraine qui augmente la durée de cotisation pour avoir une retraite à taux plein. La gauche est loin d’être convaincue par cette maigre piste. « Ça ne peut convaincre personne à gauche et chez les écologistes autour de la table », juge la secrétaire nationale des Verts, Marine Tondelier.
Le chef de file des députés socialistes, Boris Vallaud poursuit dans la même ligne : « Nous lui avons demandé de prendre ses responsabilités et de nous dire les sujets sur lesquels il était prêt à avancer. Et il a prétendu lui, le président qui a toujours décidé de tout, qu’il ne pouvait décider de rien. Il a renvoyé à la nomination dans les heures qui viennent d’un premier ministre. »
Mais une chose est sûre : Emmanuel Macron ne veut pas d’une cohabitation avec la gauche. « Nous ressortons sans aucune réponse sur rien, si ce n’est que le prochain premier ministre qui sera nommé ne sera pas de notre camp politique », affirme la secrétaire nationale des Verts, Marine Tondelier. La gauche hausse même le ton. « S’il y a, ce soir, un nouveau premier ministre qui reste dans le camp d’Emmanuel Macron pour mener la même politique, nous ne pourrons pas l’accepter », prévient Fabien Roussel.
Cette réunion n’était, au fond, qu’un outil de contrainte pour les propres soutiens du président.
À la fin de cette réunion ayant duré plus de deux heures, les représentants du bloc central et de la droite quittent l’Élysée sans dire un mot. Mais à quoi donc a servi cette réunion ? « Cette réunion n’était, au fond, qu’un outil de contrainte pour les propres soutiens du président, c’était une manière de régler des sujets au sein du bloc central et des Républicains surtout », estime la patronne des députés écolos, Cyrielle Chatelain, quelques heures après le conciliabule.
Rien ne change
A 21 h 59, au bout d’une soirée interminable, Emmanuel Macron renomme Sébastien Lecornu. Le communiqué officiel fait une ligne et demi. « Je suis un moine-soldat. Ce soir, ma mission est terminée », disait-il pourtant au JT de France 2 il y a deux jours. « Le président de la République continue, avec une grande indigence, de se moquer des Français, réagit à chaud un membre de la direction du PS. Le “socle commun” n’existe plus, ils sont illégitimes à gouverner. »
Sur les réseaux sociaux, le nouveau premier ministre écrit : « J’accepte – par devoir – la mission qui m’est confiée par le président de la République de tout faire pour donner un budget à la France pour la fin de l’année et de répondre aux problèmes de la vie quotidienne de nos compatriotes. »
Dans son message, Sébastien Lecornu égraine quelques promesses : un renouvellement de sa prochaine équipe gouvernementale qui devra être déconnectée de la prochaine présidentielle et la mise au débat parlementaire de « tous les dossiers évoqués pendant les consultations menées ces derniers jours ». Les retraites seront-elles remises à l’ordre du jour ?
Le premier ministre profite du flou. La manœuvre fait-elle partie d’un deal avec les socialistes comme l’affirme Le Parisien dans la soirée ? Les socialistes démentent fermement. « Nous n’avons aucune assurance ni garantie », dit-on au sein du groupe parlementaire socialiste. Les insoumis annoncent déjà déposer une motion de censure le lundi 13 octobre. Et le RN envisage de censurer « immédiatement », selon les mots de Jordan Bardella, le prochain gouvernement de Lecornu.
C’est comme un jour sans fin. Pathétique.
CGT
Du côté syndical, cette re-nomination ne convainc guère plus. L’union syndicale Solidaires y voit une « provocation » : « [Emmanuel Macron] franchit un nouveau cap dans son obstination à poursuivre envers et contre tout sa politique au service des plus riches. » Même son de cloche à la CGT : « C’est comme un jour sans fin. Pathétique », commente un membre du bureau confédéral. Avant, encore une fois, d’égrener ses revendications, notamment sur l’abrogation de la réforme des retraites. « À défaut [d’y répondre], Sébastien Lecornu prend le risque du blocage du pays », écrit Solidaires. « La colère va repartir ! » embraie-t-on à la CGT. À peine renommé, les jours de Sébastien Lecornu sont (encore) comptés.
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