« Bhelize don’t cry », chants de bataille
À la tête du projet Uzi Freyja, Kelly Rose propulse un rap électro aussi offensif qu’inventif, sous-tendu par un désir inflexible d’affirmation de soi. Une nouvelle voix frappante de la scène musicale française.
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© Tom Kleinberg
Bhelize don’t cry / Uzi Freyja / Fougue. En concert le 30 octobre à Castres, le 1er novembre à Massy, le 14 novembre à Metz.
Née au Cameroun, Kelly Rose nous confie par téléphone « avoir grandi en baignant dans la musique », sous l’influence en particulier de sa mère, chanteuse de gospel. Manifestant tout au long de l’entretien une truculence joviale hélas impossible à restituer à l’écrit, elle précise qu’elle écoutait alors surtout des artistes de son pays – notamment Manu Dibango et Sally Nyolo – ou de pays voisins.
Arrivée en France à l’âge de 12 ans, en 2010, elle y pratique un peu la danse, sans enthousiasme, en dehors des cours. Au lycée, elle monte, avec plusieurs ami·es, un atelier musical auquel elle participe d’abord comme danseuse. « Ma mère m’a toujours dit que je n’avais pas une très bonne voix », glisse-t-elle.
La musique représentait un refuge pour moi. J’avais un rapport passionné avec elle.
K. Rose
Un beau jour, pourtant, elle se lance au micro et reçoit des louanges en interprétant un morceau de rap – devenu son style musical favori. « J’ai subi pas mal de galères personnelles durant cette période de ma vie, et la musique représentait un refuge pour moi. J’avais un rapport passionné avec elle, j’en écoutais beaucoup, tous les jours. » Après diverses tribulations, Kelly Rose se retrouve à Nantes et intègre temporairement « un squat, clean, où tout le monde touchait plus ou moins à l’art ».
Le soir de la Fête de la musique en 2019, près de la cathédrale, elle prend part à une battle de rap freestyle dans laquelle « il n’y avait que des mecs ». Sa prestation fait forte impression sur le musicien nantais Stuntman 5, présent dans l’assistance. Cette rencontre inopinée marque le début de leur collaboration musicale, un troisième larron – FotonDanger, installé à Paris – se joignant ultérieurement au duo.
Personnalité centrale du trio, Kelly Rose prend en charge l’écriture des textes et le chant, tandis que ses deux acolytes se partagent les productions musicales. Pour baptiser le projet, le nom du pistolet-mitrailleur Uzi est associé à celui de Freyja, déesse de l’amour et de la fertilité dans plusieurs mythologies nordiques. Autant dire qu’une féminité (très) déterminée s’affirme ici.
Pugnacité scénique
Oscillant entre rap et électro, deux excellents EP – Stand (2021) et Lunacy (2022) – voient le jour. Chacun contient cinq morceaux et l’ensemble révèle un grand potentiel. La cote d’Uzi Freyja grimpe rapidement, une élévation favorisée aussi par la personnalité charismatique et la pugnacité scénique de Kelly Rose.
J’ai dû me battre deux fois plus que d’autres personnes car je suis une femme noire, ronde, immigrée.
K. Rose
Celle-ci devient, en 2023, la seule figure stable du projet, Stuntman 5 et FotonDanger n’ayant pas assez de temps disponible pour s’y investir autant qu’elle. « Ils m’ont appris beaucoup de choses, je les en remercie, dit-elle. Toute seule, je n’aurais sans doute pas commencé à faire de la musique. » La jeune femme se lance alors dans la conception de son premier album, appréhendé comme une longue lettre adressée à la petite fille qu’elle a été et qu’elle porte encore en elle aujourd’hui.
« En repensant à ma vie depuis l’âge de 7 ans, j’ai pris conscience qu’elle avait été traversée de beaucoup de douleurs, d’incompréhensions, de moments de solitude, explique Kelly Rose. J’ai eu envie de me retourner vers la petite fille que j’ai été, trop vite devenue adulte, de la rassurer et de lui donner du courage. J’ai dû me battre deux fois plus que d’autres personnes car je suis une femme noire, ronde, immigrée – dans un monde qui me donne le sentiment de ne pas exister. Malgré tout, je réussis toujours à trouver une solution, à me relever. »
De ce très introspectif processus créatif résulte Bhelize don’t cry, sorti fin janvier dernier, Bhelize étant le surnom de Kelly quand elle était enfant. Réalisé avec le concours de plusieurs producteurs – dont Juxe et Carbon Killer – pour les parties musicales, l’album intègre aussi deux invitées vocales de premier plan, la rappeuse Baby Volcano (sur « Gyoza ») et l’icône Béatrice Dalle (sur « Spicy Mami »). Dense, farouchement personnel et fortement secouant, il fait jaillir au total douze imparables morceaux portés par le flow viscéral de Kelly Rose. Des chants de bataille intime, à la portée universelle, qui frappent en plein cœur.
Pour aller plus loin…
 
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