Budget : le pari perdu d’avance d’Olivier Faure

Alors qu’Olivier Faure, le patron des socialistes, promet de « grandes victoires » à venir dans le cadre du débat budgétaire, les contraintes parlementaires et l’équilibre des forces en présence au Parlement garantissent, ni plus moins, l’échec de la promesse socialiste.

Pierre Jacquemain  • 16 octobre 2025
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Budget : le pari perdu d’avance d’Olivier Faure
Le premier secrétaire national du Parti socialiste (PS) français Olivier Faure aux côtés de la secrétaire adjointe du parti Johanna Rolland, du président du groupe Socialiste et apparentés à l'Assemblée nationale Boris Vallaud (2e à gauche) et le président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain au Sénat Patrick Kanner (2e à droite), à Matignon à Paris, le 17 septembre 2025.
© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Ce matin, alors que les députés étaient appelés à voter la censure, le patron des socialistes, Olivier Faure, face caméra, a tenté de convaincre une dernière fois les hésitants : « Il y a une formidable hypocrisie dans cet Hémicycle. Toutes celles et ceux qui vont voter la censure savent que si elle était votée, le gouvernement procèderait par loi spéciale et tout ce qu’ils prétendent combattre serait imposé aux Français. »

Il poursuit : « En acceptant d’entrer dans le débat parlementaire sur le budget, nous allons au contraire permettre d’amender et de corriger très sensiblement une copie qui n’est évidemment pas la nôtre (…). Nous allons permettre de grandes conquêtes dans les prochaines semaines. » Rien que ça !

Un parti qui feint de croire qu’en refusant la censure, il garde la main.

Comment « corriger très sensiblement » la copie du gouvernement tout en obtenant de « grandes conquêtes » ? L’affirmation du premier secrétaire du Parti socialiste relève de l’oxymore, sinon de la fable politique. Retour vers l’envoyeur de l’hypocrisie dénoncée : celle d’un parti qui feint de croire qu’en refusant la censure, il garde la main – quand en réalité, il s’enferme dans une impasse et condamne la gauche. Parce que depuis hier soir, les socialistes ne font pas les fiers.

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Dans les fédérations, la base militante ne cache pas son incompréhension : sauver un gouvernement à bout de souffle pour, dit-on, « corriger » son budget, voilà qui a tout d’une illusion technocratique. On soupçonne davantage une manœuvre pour sauver des postes que pour préparer une alternative au macronisme. Car les paris d’Olivier Faure sont d’avance perdus.

Même s’il existe, à l’occasion des débats budgétaires, une majorité de gauche pour combattre les mesures les plus antisociales du gouvernement – le gel des pensions, celui des retraites, la suppression des APL pour les étrangers non communautaires, la remise en cause de l’aide médicale d’État, etc. – ou pour défendre des propositions de justice sociale – hausse des salaires, revalorisation des minima sociaux, taxe Zucman sur les superprofits, etc. – cette majorité-là ne pèsera rien.

Conte pour enfants

Le Rassemblement national, qui dispose pourtant de la clé arithmétique du rapport de force, a d’ores et déjà annoncé qu’il ne soutiendrait pas ces amendements. Et même si le RN venait à s’abstenir, le bloc central reste numériquement supérieur au bloc de gauche. Autrement dit, les « grandes conquêtes » promises par Faure sont un conte pour enfants.

Une fiction politique destinée à gagner du temps, à éviter la dissolution et, au passage, à ménager le pouvoir. Mais même si, par miracle, ces amendements étaient adoptés, l’épreuve du feu serait ailleurs : dans la question explosive de la réforme des retraites.

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Suspendre la réforme suppose un amendement au budget de la Sécurité sociale (PLFSS). Or, pour que cet amendement soit voté, il faut voter en faveur du budget dans son ensemble. Faure et ses troupes pourront-ils, sans se renier, soutenir un texte d’austérité ? Évidemment non. Et quand bien même ils s’y risqueraient, le texte finirait sa course au Sénat, où la droite majoritaire se chargerait de détricoter la moindre avancée.

La commission mixte paritaire, qui a pour vocation d’aboutir sur un compromis budgétaire entre le Sénat et l’Assemblée nationale, dominée par les macronistes et les Républicains, rétablirait peu ou prou le projet initial – sans la moindre concession sociale, et probablement sans la suspension de la réforme des retraites. Le texte reviendrait donc à l’Assemblée, aussi dur qu’avant, voire pire.

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Alors quoi ? Si le PS réalise trop tard qu’il s’est fait berner et refuse finalement de voter le budget, il portera la responsabilité d’avoir offert au gouvernement deux mois de répit – deux mois perdus pour les Français, deux mois gagnés pour une politique qu’il prétend combattre.

Et quand il rejoindra le reste de la gauche pour censurer enfin le gouvernement Lecornu II, le mal sera fait. La mise en scène de la division de la gauche – nul doute que dans la stratégie du PS s’est jouée la volonté aussi primaire qu’immature et donc irresponsable de se distinguer de LFI –, aura profité à un seul camp : celui du Rassemblement national, seul à apparaître cohérent et déterminé.

À force de vouloir sauver le centre, le PS risque de perdre la gauche et de livrer le pays à l’extrême droite.

Au fond, tout se jouait aujourd’hui. En refusant de censurer, le Parti socialiste a renoncé à exister. En croyant conjurer la dissolution, il a, au contraire, pavé le chemin de son propre effacement – et peut-être, demain, celui de Jordan Bardella à Matignon.

À quelques mois des municipales et de la présidentielle, la stratégie d’Olivier Faure tient du pari insensé : croire qu’on peut apprivoiser le pouvoir en se refusant à le combattre. Mais les fables ont toujours une morale, et celle-ci est cruelle : à force de vouloir sauver le centre, le PS risque de perdre la gauche et de livrer le pays à l’extrême droite. Le retour devant les électeurs, inévitable tôt ou tard, aura dès lors des allures de gueule de bois pour les socialistes. Et sans doute toute la gauche !

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