Paul Biya réélu : colère et répression au Cameroun
Au Cameroun, le président au pouvoir depuis 50 ans vient d’être réélu pour un huitième mandat. L’élection de cet homme de 92 ans est largement contestée et l’opposition est réprimée. Depuis plusieurs jours, le pays est dans un climat de colère et de peur.

© AFP
Ce lundi 27 octobre, le Conseil constitutionnel du Cameroun a proclamé la réélection de Paul Biya. À 92 ans, il s’avère le plus vieux chef d’État du monde et prolonge une présidence ininterrompue de 41 années pour sept nouvelles années – qui prolongent neuf ans de fonction de premier ministre. Officiellement, il aurait récolté 53,66 % des suffrages.
Mais avant même cette annonce, des manifestations se tenaient dans plusieurs villes contre le gouvernement, dénonçant sa corruption et la fraude électorale. Et ce, malgré une répression violente : les médias locaux rapportaient quatre morts dimanche parmi les manifestants de Douala, la capitale économique du pays.
Le nombre exact de morts n’est pas connu ; le collectif Stand Up for Cameroon en rapporte 23.
Issa Tchiroma Bakary, candidat, président du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC) et ministre jusqu’à juin dernier, conteste les résultats : depuis une semaine, il affirme être le véritable vainqueur. Il se fonde sur les décomptes établis par ses représentants dans plusieurs régions. Craignant une arrestation, il s’est retranché dans son domicile à Garoua depuis le vote du 12 octobre. Il a indiqué sur ses réseaux, ce vendredi, être en « lieu sûr » grâce à « l’armée loyaliste ».
Colère et peur dans les rues
À Douala, Yaoundé et Bafoussam, la plupart des manifestations ont été dispersées par les forces de l’ordre. Des dizaines d’opposants politiques ont été arrêtées, ainsi que des universitaires. Un collectif d’avocats rapporte un millier de personnes en garde à vue à Douala. Le nombre exact de morts n’est pas connu ; le collectif Stand Up for Cameroon en rapporte 23. Le gouvernement reconnaît des « pertes en vie humaines » et Paul Biya a communiqué lundi sa sollicitude : « Mes premières pensées vont à tous ceux qui ont inutilement perdu leurs vies, ainsi qu’à leurs familles ». Beaucoup de familles ne savent pas où est détenu leur membre interpellé.
Depuis, la vie du pays tourne au ralenti. Les stations-service sont fermées, les transports rares. Faute de sécurité, les entreprises suspendent leur activité ; plusieurs commerces ont été vandalisés, des bâtiments incendiés. À Yaoundé, le quotidien reprend doucement. Mais Issa Tchiroma Bakary aurait lancé un appel, relayé massivement, à la « ville morte » du 3 au 5 novembre. Concrètement, ses représentants appellent à « stopper toute activité et à rester chez soi ». Des politiques en place, comme le maire de Bertoua, ont invité les citoyens « à vaquer sereinement à leurs occupations, sans crainte ni inquiétude ».
Le peuple camerounais face au gouvernement autoritaire
C’est la première fois que le président affiche un score si bas depuis les élections de 1992, première présidentielle du pays avec plusieurs candidats – le multipartisme ayant été légalisé deux ans auparavant. À ce jour, il existe plus de 300 partis politiques. En 2018, Maurice Kamto, candidat du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), obtient 14 % des suffrages. En juillet dernier, sa candidature a été invalidée par la Commission électorale, au motif que son parti présentait trop de candidats.
De nombreuses voix de la société civile et intellectuelle se sont fait entendre depuis l’élection. Le Collectif des intellectuels patriotes a publié une tribune reconnaissant la légitimité d’Issa Tchiroma Bakary et appelant à un dialogue national pour résoudre la crise. Les signataires dénoncent la violence contre les manifestants et demandent la libération des personnes détenues arbitrairement.
Une méfiance justifiée
Le Cameroun est marqué par plusieurs scandales politiques récents qui alimentent la défiance vis-à-vis du pouvoir. L’assassinat en 2023 de Martinez Zogo, journaliste d’investigation, a profondément choqué le pays. Des enquêtes judiciaires ont mis en cause des agents des services de renseignement et un homme d’affaires proche du pouvoir. La gestion contestée de la Coupe d’Afrique des Nations 2022, ainsi que des projets publics traînant des années – comme l’autoroute Yaoundé-Douala, dont seulement 60 des 215 kilomètres prévus ont été construits en dix ans – renforcent le sentiment d’un pouvoir opaque et inefficace
De nombreux médias dépendent financièrement de l’État ou d’acteurs proches du pouvoir, et ceux qui critiquent le gouvernement risquent de perdre des subventions. Des informations sont censurées : le 9 octobre 2024, une circulaire a été adressée aux gouverneurs régionaux, indiquant que « toute discussion dans les médias sur l’état de santé du chef de l’État est strictement interdite ». Des journalistes corrompus : Michel Ange Angouing, ancien ministre et magistrat, a déclaré récemment que « la racaille est davantage du côté de ceux qui profitent de la précarité des journalistes pour les manipuler ».
L’union européenne, comme l’ONU, demande des enquêtes et appelle à la « retenue ».
Vigilance internationale
Le président de la Commission de l’Union africaine a adressé ses félicitations à Paul Biya tout en se disant « gravement préoccupé par les informations faisant état de violences, de répression et d’arrestations ». L’union européenne, comme l’ONU, demande des enquêtes et appelle à la « retenue ».
En France, le quai d’Orsay a indiqué être « particulièrement préoccupé » par la situation camerounaise, précisant : « Il nous paraît essentiel que la démocratie, les libertés fondamentales et l’État de droit soient scrupuleusement respectés et que toutes les personnes détenues arbitrairement depuis le début du processus électoral soient libérées afin de préserver la cohésion nationale ».
Mais la France n’est pas le seul pays à être un des alliés économiques du Cameroun. Toute la communauté internationale scrute avec attention – et retenue – la situation de ce pays stratégique pour ses matières premières. Les rassemblements populaires, eux, ne sont pas près de s’arrêter. Plongeant, avec la répression connue depuis si longtemps, le pays dans une incertitude inédite.
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