Les Ateliers Médicis, l’art de mettre la périphérie au centre
Depuis 2016, les Ateliers Médicis installés à Clichy-sous-Bois et Montfermeil font des quartiers périurbains et des territoires ruraux le lieu de résidences artistiques d’une grande exigence. Pour faire émerger des voix nouvelles.
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Le Bondy Blog fête ses 20 ans d’expression populaire Travailler, penser, écrire depuis les quartiers populaires Aux municipales, comment gauche et quartiers populaires ferraillent pour existerExposée sur une palissade de chantier, une longue fresque réalisée par le plasticien Rachid Boukharta, où des visages qui semblent tout droit sortis d’enluminures médiévales côtoient des paysages colorés ou encore des motifs berbères, nous annonce que nous touchons au but. Nous avons retrouvé l’architecte Khadija Barkani et Cathy Bouvard, directrice des Ateliers Médicis, devant le bâtiment de 1 000 mètres carrés occupé par cet établissement public de coopération culturelle (EPCC) depuis 2018, pour nous rendre jusqu’à l’emplacement qu’investira la structure dans un an et demi environ, à l’horizon 2027.
Cinq minutes de marche suffisent pour franchir la frontière séparant le présent des Ateliers Médicis de leur avenir, qui prendra la place de l’ancienne tour Utrillo à Montfermeil en lisière de Clichy-sous-Bois. L’ampleur du bouleversement à venir est d’autant plus saisissante que les mètres à parcourir sont peu nombreux. L’agence d’architectes Encore heureux est aux manettes de la construction du futur lieu, cinq fois plus vaste que l’ancien, et situé juste en face de la gare du métro Grand Paris Express (ligne 16), dont l’ouverture est prévue la même année que les Ateliers Médicis nouvelle version.
Le choix d’Encore heureux révèle le grand sens de l’éthique et du lien au territoire qui porte l’équipe de l’EPCC. Sensible aux défis écologiques et sociaux, cette agence déploie au service des Ateliers Médicis tout son savoir-faire en matière de « réflexion sur la réutilisation de bâtiments existants, le réemploi de matériaux ou encore l’appropriation citoyenne par la programmation libre des espaces et de leurs usages », lit-on sur son site internet.
Labyrinthe de béton et de métal
Khadija Barkani est la belle incarnation locale de ces valeurs. Née à Clichy-sous-Bois, cette architecte familière des Ateliers Médicis entretient un rapport très étroit avec le terrain et ses problématiques urbanistiques. « J’ai notamment vécu les premiers instants des révolutions urbaines de 2005. J’avais alors 15 ans et j’ai vu le quartier partir en fumée, dans une totale incompréhension du reste de la société, causée en partie par une large entreprise de désinformation médiatique », se souvient-elle.
La jeune femme poursuit : « Cinq ans plus tard, j’assiste aux débuts du plan de rénovation urbaine à Montfermeil, qui débute à la cité des Bosquets et se poursuit jusqu’à aujourd’hui. La destruction de la cité du Chêne Pointu, où j’ai grandi, en est l’une des réalisations les plus récentes. »
Lorsqu’Encore heureux lance un appel en vue d’une permanence architecturale pour la construction des Ateliers Médicis, Khadija Barkani n’hésite pas. C’est à ce poste, né dans les années 2010 afin de faire du chantier un espace de rencontre et de dialogue entre les différents acteurs du territoire, que l’architecte nous conduit dans le labyrinthe de béton et de métal. Aidées par des maquettes, elle et Cathy Bouvard guident aussi notre imaginaire afin de compléter les nombreux vides que présente encore le futur équipement.
Il faut défendre un fonctionnement contraire à celui qui domine aujourd’hui au sein des institutions culturelles, qui part du centre pour aller vers la périphérie.
C. Bouvard
Exposés sur une table, des marches récupérées des barres d’immeubles du Chêne Pointu, des dalles fabriquées dans le cadre de la politique du 1 % artistique par l’artiste Anna Saint-Pierre avec des habitants à partir de gravats ramassés dans le même quartier, ou encore des carreaux de faïence sauvés de la destruction de la mosquée Bilal témoignent de la démarche de réemploi au cœur du projet architectural.
Celle-ci est cohérente avec la philosophie des Ateliers Médicis, que leur directrice, Cathy Bouvard, résume ainsi : « Faire avec les forces artistiques et culturelles en présence. » Autrement dit, « défendre un fonctionnement contraire à celui qui domine aujourd’hui au sein des institutions culturelles, qui part du centre pour aller vers la périphérie. »
C’est en cela un modèle exemplaire que viendra couronner l’inauguration du bâtiment. Ce qui, précise la directrice en poste depuis 2018 – soit deux ans après le lancement du projet, à l’instigation de l’État, qui puise sa source dans les émeutes de 2005 –, est loin de toujours se traduire sous des formes aussi spectaculaires que le lieu en voie d’édification. « Avec mon équipe de 35 personnes, nous menons plutôt un travail de fourmi, une expérimentation permanente de dispositifs de natures diverses, dont tous ne sont pas couronnés de succès. »
Il est toutefois un domaine où Cathy Bouvard ose délaisser sa modestie : la résidence de territoire, spécialité exercée par la maison d’une façon qui n’appartient qu’à elle. Chaque année depuis 2016, dans le cadre de leur dispositif « Création en cours », les Ateliers offrent un « temps de recherche, d’expérimentation et de création » à une bonne centaine d’artistes – ils sont 139 en 2025 – récemment diplômés ou autodidactes de toutes disciplines. Les critères de choix reflètent l’ADN de la structure. Il s’agit d’accueillir des artistes issus pour la grande majorité de quartiers périurbains et de zones rurales qui « présentent une étrangeté de langage et un regard singulier sur la société ».
En accompagnant les lauréats dans leur projet de création, sous des formes totalement définies à partir des besoins de chacun, l’équipe des Ateliers entend « bousculer les centralités existantes, permettre l’émergence de récits et d’esthétiques différentes de celles que produit le milieu culturel et artistique vu comme “légitime” et de rapports nouveaux, plus proches des territoires et de leurs habitants », poursuit la directrice.
« Nous aurons réussi notre travail sur nos territoires une fois que ceux-ci ne seront plus des lieux dont l’on parle mais des lieux d’où l’on parle, et d’où l’on puisse se faire largement entendre », dit-elle encore. La réussite de certaines personnalités passées par les Ateliers Médicis encourage fortement toute son équipe à poursuivre ses efforts.
Événement théâtral
Parmi les exemples les plus récents et éclatants, nous pouvons citer le metteur en scène Sébastien Kheroufi, dont la création en 2024 de Par les villages de Peter Handke au Théâtre des Quartiers d’Ivry-CDN, reprise notamment au Centre Pompidou à Paris, fut un événement théâtral reconnu d’emblée comme important par le public et les professionnels. En se focalisant sur son irruption sur la scène théâtrale, les médias n’ont alors pas mis en lumière le rôle discret mais majeur qu’ont joué les Ateliers Médicis pour cet artiste alors tout récemment diplômé de l’École nationale supérieure d’art dramatique de Paris.
Le fait que les Ateliers se définissent comme un lieu de recherche, avec une exigence artistique élevée, m’a décidé.
Sébastien Kheroufi
Sébastien Kheroufi en parle aujourd’hui encore avec émotion et reconnaissance. Issu des quartiers populaires des Hauts-de-Seine, il ressent à son entrée dans la vie professionnelle une méfiance envers les institutions parisiennes dans lesquelles, dit-il, il ne se reconnaît pas. Lorsqu’il découvre l’existence des Ateliers Médicis, au contraire, la confiance est immédiate : « Je connaissais Clichy non seulement par la mort tragique de Zyed et Bouna, mais aussi par des amis qui y habitaient. J’ai tout de suite pensé qu’on me comprendrait mieux ici », affirme-t-il.
L’artiste continue : « Le fait que les Ateliers se définissent comme un lieu de recherche, avec une exigence artistique élevée, m’a décidé. J’ai été très touché qu’ils me fassent confiance, car travailler sur l’écriture de Peter Handke avec des adolescents – tous les artistes de ‘‘Création en cours” doivent assurer un temps de transmission avec des collégiens – était un pari osé. »
Cette expérience a conduit Sébastien Kheroufi à la constitution pour chaque série de représentations d’un puissant chœur d’habitants. Il expérimente ensuite un autre des très nombreux programmes des Ateliers, « Transat », dont les candidats sont invités le temps d’un été à coconstruire l’objet de leur choix avec les bénéficiaires de structures non culturelles (centres sociaux, centres de détentions, lieux d’accueil en direction des personnes précaires, exilées…).
Avec les femmes d’un centre d’hébergement d’urgence à Saint-Maur-des-Fossés (94), il crée Antigone de Sophocle. Pour l’écriture du troisième volet de son triptyque, l’artiste ira notamment à la Villa Médicis à Rome. Il ne sera pas trop dépaysé, les Ateliers de Clichy-sous-Bois étant une villa artistique des banlieues de première classe.
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