Démission de Sébastien Lecornu : la Macronie en pleine décomposition

13 heures après la composition de la première équipe de Sébastien Lecornu, le premier ministre a démissionné. Un acte politique engageant l’agonie du macronisme.

Lucas Sarafian  • 6 octobre 2025
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Démission de Sébastien Lecornu : la Macronie en pleine décomposition
Sébastien Lecornu, après avoir officialisé sa démission à Matignon, Paris, le 6 octobre 2025.
© Stephane Mahe / POOL / AFP

Bombe atomique. Aux alentours de 8 heures ce 6 octobre, Sébastien Lecornu quitte l’hôtel de Matignon pour se rendre à l’Élysée. Après une heure d’entretien, il remet sa démission à Emmanuel Macron. Big bang au sommet de l’État. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? L’échec se décompose en plusieurs étapes.

Quelques heures plus tôt, dans la soirée du 5 octobre, Emmanuel Moulin, secrétaire général de l’Élysée, égraine l’équipe de Sébastien Lecornu et met fin à 26 jours de solitude gouvernementale. Le premier ministre a pris le temps de phosphorer pour composer un gouvernement resserré, une équipe capable de négocier à l’Assemblée sans 49.3, un exécutif « en mission », selon les éléments de langage macronistes.

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Le résultat est loin de correspondre aux promesses. Car il choisit finalement de renommer le gouvernement de François Bayrou à quelques détails près : Bruno Retailleau à l’Intérieur, Gérald Darmanin à la Justice, Jean-Noël Barrot aux Affaires étrangères, Catherine Vautrin au Travail et à la Santé, Amélie de Montchalin aux Comptes publics, Agnès Pannier-Runacher à la Transition écologique, Annie Genevard à l’Agriculture, Philippe Tabarot aux Transports… La liste est longue.

Les poids lourds du dernier gouvernement sont encore là. L’ancienne première ministre Élisabeth Borne rempile à l’Éducation nationale. Manuel Valls, nommé à la surprise générale aux Outre-mer par François Bayrou en décembre, reste en poste. Tout comme Rachida Dati, candidate à la mairie de Paris et ministre de la Culture sous Gabriel Attal, Michel Barnier et François Bayrou.

C’était évident que les Français demandaient des changements de visages.

C. Marion

Son procès, prévu en septembre 2026, pour « corruption et trafic d’influence passifs » et « recel d’abus de pouvoir et d’abus de confiance » dans l’affaire Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, n’a pas empêché sa reconduction. Aurore Bergé, ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, retrouve son maroquin et récupère le très médiatique porte-parolat du gouvernement.

Recyclage

Au regard de cette liste, certains députés du bloc central grincent. « Pas de rupture dans la composition du gouvernement. C’était évident que les Français demandaient des changements de visages…, regrette dans la soirée le député Ensemble pour la République (EPR) Christophe Marion. Mais l’essentiel, c’est bien le budget du gouvernement : j’y espère des inflexions et quelques ruptures. » Tout change pour que rien ne change.

Sébastien Lecornu recycle les anciennes gloires de la macronie. Les ex-premiers ministres Gabriel Attal et Édouard Philippe, soucieux de garder leur indépendance en vue de la prochaine présidentielle, auraient refusé des offres. Mais le premier ministre réussit néanmoins à repêcher à la Jeunesse et aux Sports Marina Ferrari, secrétaire d’État dans le gouvernement de Gabriel Attal et ministre sous Michel Barnier. À Bercy, il nomme Roland Lescure, ancien vice-président de l’Assemblée, figure de l’aile gauche de la macronie et ministre chargé de l’Industrie et de l’Énergie entre 2022 et 2024.

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La nomination la plus étonnante est certainement celle de Bruno Le Maire aux Armées. Politiquement, ce choix peut surprendre. À l’heure où la Macronie alerte l’opinion sur l’état des finances publiques, pourquoi nommer celui qui, à la tête de Bercy pendant sept ans, symbolise à lui tout seul l’échec de la politique de l’offre ardemment défendue par les macronistes et le dérapage budgétaire du pays ?

Tournant à droite

Au total, seules trois figures n’ont jamais été ministres sous Emmanuel Macron : l’ancienne vice-présidente Horizons de l’Assemblée (Fonction publique), Naïma Moutchou, le député EPR et ancien conseiller de Gérald Darmanin à Bercy, Mathieu Lefèvre (Relations avec le Parlement) ainsi qu’Éric Woerth (Aménagement des territoires), relaxé dans l’affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007.

Ce dernier a toutefois été secrétaire d’État à la Réforme de l’État durant le second mandat de Jacques Chirac, et ministre du Budget puis du Travail sous Nicolas Sarkozy. « Ce gouvernement semble être tout sauf en rupture avec les précédents. Certes, il est très resserré, permettant de réduire quelques dépenses publiques. Mais il ne marque aucune ouverture vers la gauche, au contraire, il marque un tournant clairement à droite », considère l’ex-députée Cécile Rilhac.

Le resserrement autour de Renaissance ne nous semble pas tout à fait correspondre à l’air du temps.

Au sein du bloc central, le casting ne fait donc pas l’unanimité. « Tout ça pour ça ! Onze ministres gardent leurs postes sans personnalité de gauche même si je pense qu’ils ne souhaitaient pas venir, estime la députée EPR Nicole Dubré-Chirat. Cette composition ne va pas faciliter la tâche pour le discours de politique générale et pour les discussions du budget. »

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« Je trouve que la reconduction de nombreux ministres déjà présents dans le gouvernement Bayrou représente un vrai risque pour la motion de censure », juge un député macroniste. La gauche, elle, s’attendait au pire. Elle n’a pas été déçue. Dans la soirée, les insoumis, les écolos et les communistes s’imaginent déjà censurer. Les socialistes prennent le même chemin.

Désagrégation

Quelques heures plus tard, à 21 h 22, Bruno Retailleau lâche quelques mots explosifs sur X : « La composition du gouvernement ne reflète pas la rupture promise. » Le ministre de l’Intérieur n’apprécierait pas de siéger à côté de Bruno Le Maire et de tous ces revenants macronistes. « Ce n’est pas seulement la question de la place de LR dans le gouvernement qui pose problème mais les équilibres entre les forces du socle commun, explique-t-on dans l’entourage de Retailleau. Le resserrement autour de Renaissance ne nous semble pas tout à fait correspondre à l’air du temps. »

Face à Lecornu, le patron de la place Beauvau avait plaidé pour l’entrée au gouvernement de deux de ses proches : l’eurodéputé François Xavier-Bellamy et Othman Nasrou, secrétaire d’État chargé de la Citoyenneté et de la Lutte contre les discriminations sous Michel Barnier.

Ça fait un an qu’on a des raisons d’être affligés, mais là, je dois dire que ce soir, on atteint le summum.

G. Attal

A 23 h 02, c’est l’Union des démocrates et indépendants (UDI) qui frappe. Dans un communiqué, le parti centriste lance :  « La vraie rupture est arrivée : c’est celle de la composition du “nouveau” gouvernement au regard des attentes et des préoccupations des Français. » A 23 h 15, Gabriel Attal, patron de Renaissance, envoie un message interne à son camp : « Ça fait un an qu’on a des raisons d’être affligés, mais là, je dois dire que ce soir, on atteint le summum. Les petits jeux, les places, les postes, les postures. Notre pays en crève, et les Français en souffrent. » En quelques heures, la macronie se désagrège.

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Sous la pression de son camp, Sébastien Lecornu renonce à la mission impossible qui lui était confiée. Son gouvernement n’aura duré que 13 petites heures. Sur le perron de Matignon peu avant 11 heures ce 6 octobre, il se confie un peu : « Être premier ministre est une tâche difficile. Sans doute encore plus difficile en ce moment. »

En quelques minutes, il refait l’histoire : les consultations avec les partis, les syndicats et le patronat, son renoncement au 49.3, les menaces de censure permanentes du côté de la gauche comme de l’extrême droite… « En ce lundi matin, les conditions n’étaient plus remplies pour que je puisse exercer ces fonctions de premier ministre et permettre au gouvernement d’aller devant l’Assemblée nationale », avoue-t-il.

La composition du gouvernement, au sein du “socle commun”, n’a pas été fluide.

S. Lecornu

Tout en taclant son propre camp : « La composition du gouvernement, au sein du “socle commun”, n’a pas été fluide et a donné lieu au réveil de quelques appétits partisans parfois non sans lien avec la future élection présidentielle. » Dans La Foudre et les cendres (8 octobre, éditions de l’Observatoire), Bruno Le Maire fait cette confession : « La maison va s’effondrer sur ceux qui sont dedans. » La prophétie est en train de se réaliser.

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