Panthéoniser Robert Badinter, sans piétiner sa lutte pour l’État de droit

À l’heure où Robert Badinter entre au Panthéon, ses combats pour la justice et le droit ont rarement été aussi malmenés, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale.

Vincent Brengarth  • 9 octobre 2025
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Panthéoniser Robert Badinter, sans piétiner sa lutte pour l’État de droit
Robert Badinter, lors d'une manifestation contre la peine de mort, en février 2007.
© Denis / CC BY-SA 2.0 / Wikimedia Commons

En cette date symbolique du 9 octobre 2025, jour anniversaire de l’abolition de la peine de mort, Robert Badinter, doit faire son entrée au Panthéon. Homme de tous les combats et inébranlable défenseur de l’État de droit, Robert Badinter a toujours agi comme puissant modèle pour les générations d’avocats qui se succèdent et au-delà. Si l’illustre et regrettée Mireille Delmas-Marty parlait des « forces imaginantes du droit », il en est l’une des principales « forces inspirantes ».

À travers sa panthéonisation, s’opère notamment la rencontre entre l’incarnation du combat abolitionniste, toujours d’actualité dans certaines parties du monde, et la symbolique d’un endroit intemporel qui nous lit en tant que nation. Dans cette époque exceptionnellement troublée, où les institutions vacillent, il serait dommageable de relativiser ce que représente un tel événement.

Une des pages du discours de Robert Badinter à l’Assemblée nationale en faveur de l’abolition de la peine de mort, le 17 septembre 1981. (Source : Gallica.)

Il marque la reconnaissance pour les engagements et les idéaux, à l’heure où un certain nombre de citoyens manquent de repères et regrettent la dégradation de valeurs universelles. Le fait de ne pas relativiser l’importance de cette consécration pour l’histoire ne doit cependant pas conduire à faire l’impasse sur les circonstances très particulières dans lesquelles elle intervient.

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Si le mérite de Robert Badinter à prétendre à la reconnaissance nationale est indéniable, sa panthéonisation ne doit pas faire oublier la tentation récurrente, pour nos gouvernants, de s’emparer des symboles pour en piétiner en pratique l’héritage. À l’heure où Robert Badinter rejoint les héroïnes et héros de la nation, ses combats, pour la justice et le droit, ont rarement été aussi malmenés, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. La justice, en particulier en matière anticorruption, subit une attaque d’une rare intensité.

Paradoxe

Lorsque la France se targue d’être la patrie des droits de l’homme, c’est une figure de style.

R. Badinter

Lors d’une conférence le 16 mars 2011 au Conseil de l’Europe, Robert Badinter avait eu ces mots : « Lorsque la France se targue d’être la patrie des droits de l’homme, c’est une figure de style. La France, et c’est déjà beaucoup, est la patrie de la Déclaration des droits de l’homme, mais aller plus loin relève de la cécité historique. » Or, depuis, la situation n’a eu de cesse de se dégrader. Les exemples sont trop nombreux pour prétendre à l’exhaustivité. La censure de la loi Attal en matière de justice des mineurs par le Conseil constitutionnel en juin 2025, la censure de la loi Duplomb le 7 aout 2025, sont autant de marqueurs d’un pouvoir législatif apte à rogner sur les principes.

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Et encore, la liste ne comprend que les censures et n’intègre pas, par exemple, la très discutable validation de la réforme des retraites en dépit de la force des oppositions. Les manquements de nos gouvernants s’attendent également à la question de Gaza qui connait un drame humain d’une intensité inouïe, sans provoquer de réaction qui soit suffisamment ferme.

La défense de l’État de droit ne saurait se résumer à un symbole et à de beaux discours.

C’est le paradoxe de telles cérémonies qui visent à fédérer, tout en intervenant dans un contexte de dégradation croissant des droits fondamentaux. La défense de l’État de droit ne saurait se résumer à un symbole et à de beaux discours devant une assemblée elle-même choisie. Le Panthéon mérite mieux. Sans cela, le risque est celui de dévaluer nos propres symboles au profit de logiques dont on voit bien qu’elles servent aussi à redorer les blasons.

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Il serait relativement artificiel de considérer que l’entrée au Panthéon de Robert Badinter ne viserait qu’à reconnaître sa contribution dans le processus ayant conduit à l’abolition de la peine de mort. C’est l’entièreté de ses combats, notamment pour la préserver la dignité humaine, qui sont célébrés. La panthéonisation doit renvoyer à un processus d’inscription dans le temps, tout en préservant un aspect dynamique. Panthéoniser n’a de sens que s’il n’existe pas un décalage trop substantiel entre la pratique et ce que nous donnons à voir.

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