« On ne pourra pas vaincre l’orpaillage illégal seulement par la répression »

Joël Sollier, procureur général de la République en Guyane, décrit l’organisation des réseaux d’orpaillage illégal sur le Haut-Maroni et les moyens à déployer pour une lutte efficace.

Tristan Dereuddre  • 26 novembre 2025 abonné·es
« On ne pourra pas vaincre l’orpaillage illégal seulement par la répression »
© Matt Seymour / Unsplash

Les comptoirs chinois établis sur les rives surinamiennes du Haut-Maroni assurent la logistique de l’orpaillage illégal par le ravitaillement qu’ils permettent. Seule une coopération renforcée entre le Suriname et la Guyane permettra d’endiguer cette criminalité organisée.

Pouvez-vous dresser un état de la coopération entre le Suriname et la Guyane au niveau judiciaire et policier aujourd’hui sur le Maroni ?

Joël Sollier : Ce qui est paradoxal, avec le Suriname, c’est qu’on a négocié des conventions policières et judiciaires d’entraide. Mais que, en dépit des efforts des uns et des autres, on n’arrive pas à obtenir la ratification par le Parlement surinamais de ces textes. Donc, aujourd’hui, on se trouve quasiment sans texte de coopération. C’est regrettable. Ces textes sont importants parce qu’ils permettent de réguler la relation et de travailler en confiance sur le régalien, c’est-à-dire sur ce qu’il y a de plus sensible au sein de l’État.

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Toutefois, avec le Suriname, on a une coopération plutôt pragmatique : malgré l’absence de texte, les autorités sont assez volontaires. Elles coopèrent sur des dossiers d’intérêts communs, comme les délits de droit commun. Mais moins quand leurs intérêts peuvent être menacés d’une manière ou d’une autre. Sur des dossiers de fond comme la lutte contre l’orpaillage ou le trafic de stupéfiants, on a plus de mal à établir une coopération structurée. De mon point de vue, c’est un constat en demi-teinte.

Quels sont les intérêts du Suriname à ne pas approfondir la coopération sur l’orpaillage illégal ?

À ma connaissance, l’orpaillage est la première source de revenus du Suriname, où il ne fait pas l’objet d’une régulation stricte. Lorsqu’on dit aux autorités qu’il faut le restreindre, elles considèrent l’aspect économique, parce qu’une grande partie de la population est dépendante de l’extraction. Il est clair qu’on ne peut pas vaincre l’orpaillage illégal uniquement par la répression au Suriname, ni même au Brésil. Il y a un problème d’alternative économique. Si on contraint les gens à arrêter l’orpaillage, il faut aussi leur donner la possibilité de vivre.

Si on contraint les gens à arrêter l’orpaillage, il faut aussi leur donner la possibilité de vivre.

Si demain le Suriname venait à interdire la présence de comptoirs chinois sur sa rive du Maroni, les garimpeiros pourraient-ils continuer à se ravitailler ? Ou cette interdiction signerait-elle le glas de l’orpaillage illégal dans cette région ?

Les garimpeiros n’ont pas de bases logistiques qu’au ­Suriname. Ils en ont aussi sur la rive brésilienne de ­l’Oyapock. Tout dépend de l’attitude des États qui assurent leur souveraineté sur le territoire. Au Suriname, les garimpeiros ont carte blanche. Ils auraient tort de s’en priver. Il y a même des convois logistiques qui partent du Suriname pour alimenter des sites d’orpaillage qui se trouvent à l’est de la Guyane, à l’opposé de là où ils sont ! Si le Suriname évoluait vraiment dans son contrôle de ces activités, ce serait très handicapant pour les garimpeiros.

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Aujourd’hui, la majorité de l’orpaillage illégal se concentre sur le Maroni. Elle s’est fortement allégée à l’est. Grâce à la coopération entre la France et le Brésil ?

Il est évident que tous les efforts qui ont été faits entre la Légion étrangère, la gendarmerie et les autorités brésiliennes ont une incidence majeure sur cette régression. Mais ce n’est pas le seul facteur explicatif. Vous avez aussi le fait que les qualités aurifères sont plus importantes sur les sites de l’Ouest que sur les sites de l’Est. Cela a dû jouer également dans le déplacement.

Au Suriname, la Chine renforce sa présence, qu’elle soit économique ou diplomatique. Ces dernières années, on assiste à une forte augmentation du nombre de comptoirs chinois sur le Haut-Maroni. La Chine, en tant qu’État, a-t-elle des intérêts pour stocker de l’or ?

La présence des Chinois sur le Maroni et au Suriname est patente, il suffit d’ouvrir les yeux pour la voir. Les comptoirs chinois sont là ; ils assurent la logistique de l’orpaillage, c’est de notoriété publique. Mais est-ce que, derrière les Chinois, il y a la Chine en tant qu’État ? On se pose la question depuis longtemps, mais ce n’est pas démontré. Certaines études ont été faites pour approfondir ce sujet, mais je n’ai pas d’autres éléments.

Il existe un faisceau d’indices qui amène à penser qu’il y a une présence chinoise.

Cela dit, la présence de la Chine au Suriname ne se résume pas aux comptoirs chinois. La dette internationale du Suriname est garantie par la Chine. Donc, oui, il existe un faisceau d’indices qui amène à penser qu’il y a une présence chinoise. Cela dit, la présence de superpuissances dans des pays tiers ne date pas d’aujourd’hui.

Comment s’organisent ces réseaux criminels ? Sont-ils structurés de manière verticale comme
dans le narcotrafic ?

Il y a deux façons de regarder l’orpaillage illégal : de manière micro et de manière macro. Quand vous le regardez de manière micro, vous voyez une fourmilière de petites activités anarchiques. Vous avez l’impression que ce sont des esclaves modernes qui se débrouillent pour creuser leurs trous afin d’en extraire de l’or.

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De manière macro, vous avez l’impression inverse. Vous avez une organisation qui fait vivre entre 7 000 et 10 000 personnes en permanence en forêt équatoriale. Elle a une capacité de fourniture de matériel logistique tout à fait considérable. On sait la difficulté que c’est, puisqu’on y fait vivre quelques centaines de militaires, soutenus par des hélicoptères et un gros apport logistique. Nous, quand on est en forêt, on a du mal à porter notre gourde d’eau. Et eux, ils vont apporter 400 000 à 500 000 litres de carburant, avec des moteurs, des pompes, et des tuyaux. Vous avez des mécaniciens, des gens qui savent utiliser les systèmes électriques, qui savent brancher les moteurs, etc.

Je catégorise l’orpaillage illégal comme une activité de criminalité organisée et plutôt de haut vol.

Ensuite, la manière dont ces gens communiquent est extraordinaire. Ils ont d’abord un système d’information très important, qui alerte sur la pénétration des services de police et de l’armée. Mais ils ont aussi des moyens concrets de communication : ils utilisent Starlink et les systèmes internet en pleine forêt équatoriale ! On n’est plus du tout sur des concepts d’esclavage moderne. Quand vous regardez tout ça dans sa globalité, on a affaire à quelque chose de tout à fait organisé.

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Vous avez également l’évacuation et le blanchiment de plusieurs tonnes d’or par an. Il faut être capable de l’acheminer, de le blanchir, de le valoriser, etc. Cette réalité me fait catégoriser l’orpaillage illégal comme une activité de criminalité organisée et plutôt de haut vol.

Comment arrivent-ils à contourner les systèmes de traçabilité de l’or ?

Ces systèmes ne sont pas effectifs à l’heure actuelle. Ce sont des initiatives qu’on est en train de développer. Il y a plusieurs années, j’avais travaillé sur la traçabilité des diamants parce qu’on arrive à savoir d’où ils ont été extraits. On voulait prohiber ce qu’on appelait les diamants du sang, les blood diamonds, qui avaient pour origine des zones de combat et qui étaient extraits en utilisant des enfants. On voulait vérifier l’origine d’un diamant lorsqu’un joaillier vendait un bijou. C’est un peu la même idée avec l’or. On aimerait être capables de remonter l’ADN de l’or et, par ce biais-là, savoir d’où il a été extrait. Mais à l’heure actuelle, on est plutôt au début de ce processus.

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