Batteries électriques : les forçats du « cobalt de sang » congolais

Essentiel à la conception de nos batteries, ce minerai provient aux deux tiers des sous-sols de la République démocratique du Congo. Entre corruption, exploitation, meurtres et concentration dans les mains de la Chine, sa production pose d’urgentes questions éthiques.

Théophile Simon  • 16 novembre 2022 abonné·es
Batteries électriques : les forçats du « cobalt de sang » congolais
© Des enfants lavent le minerai extrait d’une mine de Kolwezi. (Photo : Théophile Simon)

Le dos voûté par les cinquante kilos d’un sac rempli de roche, Michel, la mine adolescente, gravit d’un pas mal assuré une pente aussi raide que caillouteuse. À quelques centimètres de ses maigres sandales de plastique, vingt mètres de vide. Puis, au fond, une gigantesque crevasse que creusent à mains nues des milliers d’hommes en haillons.

« J’ai 20 ans », murmure Michel après avoir été interrogé sur son âge. « Brave garçon, il a bien répondu », s’esclaffe son contremaître, qui a passé la matinée à exfiltrer de la mine les enfants et les femmes enceintes afin de faire bonne impression devant la presse.

À lire > [Voiture électrique : les effets pervers d’une révolution](Voiture électrique : les effets pervers d’une révolution)

Le tableau dévoilé ce jour-là n’en est pas reluisant pour autant : trimant dans une épaisse poussière, dépourvus d’équipements de sécurité et assommés par les rayons acides du soleil tropical, près de 22 000 mineurs raclent les entrailles de la colline de Shabara, dans la province du Lualaba, au sud-est de la République démocratique du Congo (RDC).

On ne cherche ici ni or, ni argent, ni diamant. Mais un minerai peut-être plus essentiel à l’économie mondiale : le cobalt. Doté de prodigieuses propriétés chimiques, ce sous-produit de l’extraction du cuivre permet aux batteries électriques de gagner en densité énergétique et en résistance à la chaleur.

Au point d’être devenu incontournable à la transition énergétique mondiale. Les deux tiers du cobalt produit sur Terre servent aujourd’hui à la production de batteries électriques, contre à peine 1 % au mitan des années 1990.

La mine industrielle de Commus, au cœur de la ville de Kolwezi. (Photo : Théophile Simon.)

Sous l’effet de la démocratisation du véhicule électrique, dont le nombre devrait encore être multiplié par six d’ici à 2030, la demande en cobalt connaît une croissance exponentielle. Et la RDC rafle la mise : le sud-est du pays trône sur un gigantesque filon représentant la moitié des réserves mondiales du précieux minerai, dont il exporte chaque année pour 6 milliards de dollars.

Les « creuseurs »

Cette nouvelle ruée vers le cobalt ne profite guère à la population congolaise. La majorité de la production nationale est issue de mines industrielles, d’immenses balafres ouvertes dans la croûte terrestre à coups de dynamite. Or ces mines, fortement mécanisées, ne fournissent qu’une fraction des emplois du secteur.

Trop peu pour satisfaire les millions d’habitants de la région, vivant pour la plupart sous le seuil de pauvreté. Comme Michel et ses semblables, plus de 250 000

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Écologie
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Les forçats du cobalt congolais
Temps de lecture : 10 minutes

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