PAC, accord Mercosur : contradictions agricoles
Ironie du calendrier, alors qu’elle renationalise la politique agricole commune, la Commission européenne finalise l’accord de libre-échange qui ouvre un peu plus le marché européen au bœuf, au soja et à la volaille sud-américains.
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© Vanina Delmas
En juillet dernier, la Commission européenne a dévoilé son projet de réforme de la Politique agricole commune (PAC) pour 2028-2034. À première vue, le texte avait tout pour plaire : renforcement des aides à l’installation des jeunes, dégressivité et plafonnement des soutiens pour mieux aider les petites fermes, et jusqu’à 200 000 euros d’aide forfaitaire pour la transition écologique. Mais, derrière ces promesses, la nouvelle architecture imaginée n’est pas à la hauteur.
Un risque accru de dumping intra-européen et la fin de ce qui faisait l’essence de la PAC.
Le budget actuel de la PAC, 387 milliards d’euros, repose sur deux piliers : le soutien aux revenus agricoles et les mesures environnementales et de développement rural. Dans la version proposée, ce budget serait dilué dans un fonds global de « partenariat national et régional » doté de 865 milliards d’euros, dont seulement 293 milliards seraient sanctuarisés pour les aides agricoles. Le reste dépendrait de cofinancements nationaux, ouvrant la porte à des renationalisations.
Chaque État définirait alors ses priorités, ses critères, ses contrôles. Résultat : un risque accru de dumping intra-européen et la fin de ce qui faisait l’essence de la PAC – une politique véritablement commune. L’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) pointe un risque de « marginalisation des mesures agro-environnementales dans un contexte de restriction budgétaire et de désintérêt politique ». Sous la pression des eurodéputés, Ursula von der Leyen a fini par concéder une mesure minimale : les États membres devront consacrer 10 % de leurs plans de partenariat à un « objectif rural ».
Naïveté ou bêtise ?
Ironie du calendrier, alors qu’elle renationalise la PAC, la Commission européenne finalise l’accord de libre-échange avec le Mercosur, qui ouvre un peu plus le marché européen au bœuf, au soja et à la volaille sud-américains. Comment peut-on demander aux agriculteurs européens de produire « plus vert » tout en les plaçant en concurrence directe avec des produits issus de modèles très intensifs, indifférents à nos règles sanitaires et environnementales ?
Penser qu’un étiquetage plus précis suffira à limiter la casse relève soit de la naïveté, soit de la bêtise. Les clauses de sauvegarde – censées permettre des mesures d’urgence en cas de chute des prix ou de hausse massive des importations – restent des outils très limités : leur déclenchement est complexe et leur effet temporaire. Seules des clauses miroirs, imposant aux produits importés le respect des normes européennes, offriraient un minimum d’équité. Cependant, leur adoption pourrait donner lieu à des compensations pour les pays du Mercosur.
Pour suspendre véritablement le texte, Paris devra convaincre au moins trois autres États membres et atteindre 35 % de la population européenne.
Interpellé par des agriculteurs lors d’un déplacement à Toulouse le 12 novembre, Emmanuel Macron a affirmé que l’accord « tel qu’il existe aujourd’hui recueillera un non très ferme de la France ». Reste que, pour suspendre véritablement le texte, Paris devra convaincre au moins trois autres États membres et atteindre 35 % de la population européenne. Or, même avec la Pologne, l’Irlande, l’Autriche et les Pays-Bas, ce seuil n’est pas atteint. C’est pourtant un préalable à la construction d’une agriculture européenne tournée vers la durabilité et la souveraineté alimentaire.
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