Un « plan Trump » signé Poutine
La connivence entre le président américain et le dictateur russe n’a jamais été aussi manifeste. Tout à l’avantage du second.
dans l’hebdo N° 1890 Acheter ce numéro

© Žilvinas Ka / Unsplash
Le secrétaire d’État américain Marco Rubio en a fait l’aveu à des sénateurs républicains avant de tenter de rattraper sa bourde : le « plan Trump de paix en Ukraine » a été rédigé au Kremlin… Un indice avait mis ses destinataires européens sur la voie. Personne d’autre que Poutine aurait osé glisser parmi les vingt-huit points du document l’exigence de « dénazification » de l’Ukraine. La prétendue lutte contre le nazisme est le ressort principal de la propagande russe qui rejoue la « Grande Guerre patriotique » de juin 1941. Cette référence, qui trahit la véritable origine du texte, montre le degré de soumission de Trump à Poutine. Le reste est à l’avenant.
Poutine sort renforcé de cette séquence, et même encouragé par la menace de Trump de priver l’Ukraine en armes.
Le plan accorde à la Russie des territoires ukrainiens que l’armée russe n’a pas conquis, soit la totalité du Donbass, y compris l’oblast de Donetsk. Il exige une réduction drastique des effectifs militaires de l’Ukraine, et un engagement à ne jamais rejoindre l’Otan. Le plan va jusqu’à imposer à Kyiv des élections sous cent jours. En clair, l’Ukraine est livrée pieds et poings liés à la Russie. Ce « plan Trump » signé Poutine constitue aussi un défi à l’Europe. Car c’est l’Europe qui est la véritable cible, visée pour tout ce qu’elle représente de démocratique et de progressiste du point de vue des mœurs. Au passage, le plan se prononce pour l’amnistie totale de « toutes les actions commises pendant la guerre ». Viols et enlèvements d’enfants compris. Quant à l’Europe, elle est sommée, sans qu’on lui demande son avis, d’investir cent milliards de dollars dans la reconstruction de l’Ukraine.
En contrepartie, « il est attendu que la Russie n’envahisse pas les pays voisins ». Une formule plus inquiétante que rassurante. Et l’Ukraine, nous dit-on, « recevra des garanties de sécurité fiables ». Des garanties qui valent ce que vaut la parole de Donald Trump… Cinq jours après la parution de ce brûlot, l’Union européenne, le Royaume-Uni, l’Ukraine, et les États-Unis représentés par Marco Rubio, se sont retrouvés à Genève pour l’amender. Mais le dictateur russe n’a pas attendu vingt-quatre heures pour balayer la nouvelle version d’un revers de main. Retour à la case départ. À cela près que Poutine sort renforcé de cette séquence, et même encouragé par la menace de Trump de priver l’Ukraine en armes et en renseignements. Le « plan de paix » était un plan de guerre.
Le problème avec des personnages comme Poutine, c’est que tout abandon est un encouragement à poursuivre.
On en revient à la question que l’on n’a plus le droit de ne pas se poser : jusqu’où Poutine est-il prêt à aller ? Le Donbass est-il ses Sudètes, cette région germanophone de la Tchécoslovaquie qui a servi de banc d’essai à Hitler en septembre 1938 ? La ressemblance est troublante. À peu de chose près, la même superficie et la même population, et la même ambivalence linguistique. Avec cette différence majeure qui n’est pas rassurante : le « Munichois » n’est plus Édouard Daladier, mais Donald Trump lui-même. Que se passerait-il si Poutine s’en prenait aux pays baltes ? Le problème avec des personnages de cet acabit, c’est que tout abandon est un encouragement à poursuivre. Comme toujours, il y a parmi nous des Cassandre et des dieux qui ont maudit cet oiseau de mauvais augure. Mais, en février 2022, quand personne ne croyait en l’invasion de l’Ukraine, ce sont les Cassandre qui ont eu raison.
Dans ces conditions, faut-il s’offusquer des propos du général Mandon ? Il est vrai que le discours du plus haut gradé de l’armée française, qui nous invite à nous préparer à la guerre et au sacrifice de nos enfants, risque d’avoir des effets toxiques sur une opinion fragilisée par le climat politique. On peut même imaginer qu’il détourne notre attention de préoccupations immédiates de pouvoir d’achat et d’inégalités sociales au profit d’Emmanuel Macron et de son « socle commun » en perdition. De là à faire du chef d’état-major des armées le chargé de communication du président de la République, il y a un pas que je ne franchirai pas.
Trump louvoie, mais une puissante attraction idéologique finit toujours par le ramener du côté de Poutine.
Car si on lève la tête pour observer la situation internationale, les mots du général prennent tout leur sens. Ses alter ego, en Allemagne, en Pologne, en Finlande ont eu des propos plus alarmistes encore. Au point où nous en sommes, on attend la parole de Trump. Celui-ci n’est versatile qu’en apparence. Il louvoie, mais une puissante attraction idéologique finit toujours par le ramener du côté de Poutine. À Washington, certains élus républicains commencent à s’en émouvoir. La vassalisation rampante des États-Unis par la Russie de Poutine ne serait pas la moindre conséquence de ce qui se joue en Ukraine.
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