Orpaillage : le mercure, un poison pour la terre et les humains

En fin de processus d’extraction, les orpailleurs illégaux utilisent de grandes quantités de mercure pour séparer la terre de l’or. Hautement toxique, ce métal lourd contamine non seulement l’environnement mais aussi les peuples du fleuve Maroni.

Tristan Dereuddre  • 26 novembre 2025 abonné·es
Orpaillage : le mercure, un poison pour la terre et les humains
Linia Opoya, habitante du village amérindien Wayana de Taluwen, et figure de la lutte contre le mercure.
© Tristan Dereuddre

Entre Maripasoula et le village d’Antécume-Pata, l’artère principale du fleuve Maroni s’accompagne de multiples cours d’eau qui pénètrent dans les terres. Ces rivières, appelées « criques », très utilisées par les garimpeiros pour rejoindre les sites d’orpaillage, étaient aussi un lieu d’activité pour les Wayanas, peuple amérindien du Haut-Maroni. C’est le cas de la crique Lipo Lipo, située à une quinzaine de minutes de pirogue de Talhuwen : « Auparavant, on utilisait cette rivière pour la pêche. On y fabriquait des maisons en feuilles de waï [variété de palmier, N.D.L.R.] pour venir chercher le poisson », raconte Linia Opoya, habitante du village.

En amont de la crique, les garimpeiros déversent leurs boues polluées dans la rivière. L’eau est sale.

L. Opoya

Mais, depuis plusieurs années maintenant, il est devenu presque impossible de pêcher ici. La couleur orangée du Lipo Lipo détonne avec l’eau du Maroni, pourtant loin d’être cristalline. Une frontière nette de boue est particulièrement visible au point de rencontre des deux cours d’eau. « En amont de la crique, les garimpeiros déversent leurs boues polluées dans la rivière. L’eau est sale », se désole Linia. 

Les rejets des garimperos obscurcissent les eaux et appauvrissent la photosynthèse. Les particules en suspension empêchent les rayons du soleil de passer et stérilisent la chaîne alimentaire. « On pêche moins. Pour trouver du poisson, on est obligés d’aller plus loin, encore plus haut sur le fleuve », explique-t-elle, vers des zones moins orpaillées car plus difficiles d’accès.

Des effets pour des dizaines d’années

Si la turbidité de l’eau représente un problème important pour les peuples du fleuve, Wayanas comme Bushinengués, elle n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le fleuve et son environnement sont contaminés par un poison invisible : le mercure. Dans toutes les formes d’orpaillage illégal – barges, jets à pression et mines –, ce métal lourd est utilisé en fin de processus. Sous forme liquide, il est utilisé pour capter les paillettes d’or disséminées dans les sédiments.

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L’amalgame obtenu est ensuite chauffé, le mercure s’évapore et laisse derrière lui un or presque pur. Une fois libéré dans l’environnement, le mercure persiste pendant des dizaines, voire plusieurs centaines d’années. « Les garimpeiros libèrent non seulement dans l’environnement le mercure qu’ils utilisent dans le processus d’extraction de l’or, mais aussi tout le mercure présent en abondance dans le sol guyanais », explique Rémy Pignoux, médecin spécialiste des effets de ce métal toxique.

Il vit et exerce son métier sur le fleuve depuis une trentaine d’années. Il revient d’une mission scientifique menée avec le CNRS, à Pidima, pour étudier les niveaux de contamination au mercure des poissons, des aliments et des habitants du village. « Les poissons sont beaucoup plus contaminés qu’il y a vingt ans, soupire le médecin. Cela signifie que l’activité d’orpaillage a été exponentielle et qu’elle s’aggrave ces dernières années. »

Aujourd’hui, chez les adultes de Pidima, trois habitants sur quatre sont au-dessus des normes de l’OMS.

R. Pignoux

Le village de Pidima n’a pas été choisi au hasard. La population est particulièrement exposée au mercure, par son isolement. Les ressources sont essentiellement locales et vivrières avec la chasse et la pêche : en saison sèche, impossible d’emprunter le fleuve pour acheter de la nourriture aux comptoirs chinois. « Aujourd’hui, chez les adultes de Pidima, trois habitants sur quatre sont au-dessus des normes de l’OMS. Environ 15 % présentent des taux supérieurs à 20 microgrammes, soit le double de la norme », glisse Rémy Pignoux.

Un métal lourd de conséquences

L’une des principales voies de contamination chez les humains est la consommation de poissons. « Les 700 échantillons de poissons prélevés sur plus de 60 espèces, par comparaison avec les dernières analyses menées il y a vingt ans, étaient beaucoup plus contaminés », indique Rémy Pignoux. Aujourd’hui, l’ensemble des poissons carnivores du Haut-Maroni sont contaminés.

En bout de chaîne alimentaire, ils accumulent le mercure concentré dans les vases, et dans leurs proies, des petits poissons herbivores. «Un poisson qu’on a éviscéré portait une bille de mercure dans l’intestin », raconte le médecin. Les Wayanas, via les dispensaires de santé, sont informés sur la contamination des espèces carnivores. Elles constituaient autrefois l’une des bases de leur régime alimentaire. « On fait attention à ce qu’on pêche, mais, parfois, on n’a pas le choix. C’est très difficile d’en attraper d’autres », explique Linia Opoya.

Aujourd’hui, les taux de mercure sont préoccupants, note Rémy Pignoux. Le métal agit sur les tissus du système nerveux central. Chez les adultes, les symptômes se manifestent de différentes manières : fatigue, maux de tête, perte de force musculaire ou encore fourmillements. Les femmes enceintes sont particulièrement vulnérables, car le mercure traverse la barrière placentaire et peut affecter le développement du fœtus.

Le mercure nous rend malades. J’ai des vertiges, de grosses douleurs aux articulations, des pertes de cheveux.

L. Opoya

Les enfants, dont le système nerveux est en pleine évolution, sont aussi très exposés. « 60 % des enfants sont contaminés à plus de 10 microgrammes. Le mercure, comme les autres métaux lourds, peut altérer gravement leur développement psychomoteur », explique le médecin. «Le mercure nous rend malades. J’ai des vertiges, de grosses douleurs aux articulations, des pertes de cheveux. On est tous contaminés», déplore Linia Opoya.

« Ils ont détruit la forêt »

Au-delà du mercure, l’orpaillage illégal fragilise la forêt par la déforestation. Depuis vingt-cinq ans, 30 000 hectares ont été déforestés, dont 5 600 hectares du parc amazonien. En Guyane, cette situation engendrée par les garimpeiros reste loin des ravages observés au Suriname et au Brésil. L’opération Harpie, menée depuis 2008, semble contenir le phénomène sans parvenir à l’éradiquer pour autant. Et les 500 hectares déforestés par an continuent d’impacter le mode de vie des Wayanas : « Le gibier est plus rare. Ils ont détruit la forêt », explique Linia Opoya.

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Présidente de l’association des victimes du mercure dans le Haut-Maroni, elle a mené en janvier 2024 une action en justice contre l’État français. Aux côtés d’autres associations, elle dénonce les défaillances en matière de lutte contre l’orpaillage illégal et de protection des droits humains et de la nature. « Le problème est deux fois plus important qu’en 2021. Je continuerai à me battre jusqu’au bout. » Mi-novembre, les associations ont relancé les autorités compétentes, qui leur ont adressé un mémoire de 96 pages, contenant 77 pièces. L’instruction de la procédure est prolongée jusqu’au 10 décembre.

En déplacement officiel en Guyane le 24 novembre, la ministre de la Transition écologique et de la Biodiversité, Monique Barbut, a évoqué la possibilité d’attaquer en justice les États voisins. Reste à savoir si ce discours de fermeté sera accompagné d’actions concrètes, alors que le Suriname constitue la principale base arrière et point de transit de l’or illégal.

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