Quand l’excès d’épargne nuit
Mobiliser l’épargne des plus fortunés par le canal de l’impôt sur le patrimoine pour la réorienter vers l’investissement public et en faveur des classes modestes provoquerait un fort effet multiplicateur.
dans l’hebdo N° 1892 Acheter ce numéro

Dans un contexte marqué par l’incertitude, le taux d’épargne atteint le record de 19 % du revenu national, 4 points au-dessus de son niveau habituel. 60 % de l’épargne est orientée vers des produits réglementés, peu risqués et relativement liquides (livrets A, épargne logement, livrets de développement durable, assurance-vie), qui représentent 15 % du patrimoine des ménages. Il s’agit principalement de l’épargne populaire et de celle des classes moyennes.
L’épargne des classes riches se porte avant tout sur le marché actions, où elle fait grossir la valeur de leur patrimoine financier.
Pour sa part, l’épargne des classes riches se porte avant tout sur le marché actions, où elle fait grossir la valeur de leur patrimoine financier. La capitalisation boursière de ce marché dépasse 3 000 milliards d’euros. Mais la valeur des titres nouvellement émis chaque année par les entreprises pour financer leurs investissements dans l’économie réelle se limite à 10 milliards d’euros.
Les réformes abaissant la fiscalité du capital ne sont pas étrangères aux chiffres observés. Les rapports de France Stratégie montrent que la combinaison de la flat tax sur les revenus du capital, la suppression de l’ISF et la baisse de l’impôt sur les sociétés ne s’est pas traduite par une hausse de l’investissement, de l’emploi ou des salaires versés dans les entreprises possédées par les bénéficiaires des baisses d’impôts.
Ces derniers n’ont pas plus consacré leurs ressources au financement risqué des start-up innovantes. Ces baisses d’impôts ont, en revanche, encouragé le versement de dividendes, l’acquisition d’actions et la souscription de contrats d’assurance-vie. Enfin, le recentrage de la fiscalité du patrimoine sur la fortune immobilière, à la suite de la création de l’IFI, a pesé sur l’investissement immobilier, alors que sévit la crise du logement.
Susceptibilité
Dans sa Théorie générale de l’emploi de l’intérêt et de la monnaie, Keynes expliquait en 1936 pourquoi l’abstinence à la consommation des classes riches n’était en rien le gage d’un investissement dynamique, au contraire de ce que soutenaient ses congénères conservateurs. Une forte épargne est même source de déflation, dès lors qu’elle ne finance pas l’investissement et qu’elle grossit au détriment de la consommation. Dans ces conditions, mobiliser l’épargne des plus fortunés par le canal de l’impôt sur le patrimoine pour la réorienter vers l’investissement public et en faveur des classes modestes, qui consomment l’intégralité de leur revenu, provoquerait un fort effet multiplicateur.
De nos jours, l’excès d’épargne accumulée rend ces lignes d’une brûlante actualité. Keynes, qui faisait l’apologie de l’impôt sur les successions, aurait sans aucun doute défendu la taxe Zucman sur le patrimoine des milliardaires, pour éviter les coupes dans les dépenses sociales et financer les investissements nécessaires à la transition écologique. À défaut de pouvoir l’adopter, faute de majorité au Parlement, la proposition faite par les sénateurs socialistes de mobiliser l’épargne oisive par un emprunt obligatoire et sans intérêt auprès des 20 000 plus fortunés n’est pas dénuée de sens.
Mais les communicants organiques du monde de la finance se sont immédiatement époumonés contre une mesure jugée « quasi soviétique » ! Cette proposition ménageait pourtant la susceptibilité des milliardaires à l’endroit de l’impôt et évitait de recourir à un emprunt à 3,5 % auprès des marchés. L’emprunt à taux zéro revient seulement à leur prélever un impôt symbolique, lié à une inflation réduite de 1,5 %, pour financer des dépenses tellement utiles à la collectivité.
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