« Sad and Beautiful World », désespoir et des espoirs

L’artiste prête sa voix puissante à une magnifique collection de chansons engagées.

Pauline Guedj  • 12 décembre 2025 abonné·es
« Sad and Beautiful World », désespoir et des espoirs
Au long du disque, Mavis Staples nous délivre des leçons de vie, nous désespère, nous redonne espoir.
© ANDER GILLENEA / AFP

Sad and Beautiful World / Mavis Staples / ANTI-Records.

Pour beaucoup d’entre nous, quadragénaires français amateurs de musiques africaine-américaines, la découverte de Mavis Staples aura fini de confirmer une intuition : celle du caractère intrinsèquement politique des musiques noires. Nous sommes en 1990, en pleine explosion du hip-hop, et, comme ce sera le cas pour George Clinton, c’est Prince qui, grâce à son album et son film Graffiti Bridge, œuvre à relancer la carrière de Staples sur la scène internationale.

Âgée aujourd’hui de 86 ans, la dernière survivante du clan Staples n’a rien perdu de son engagement.

Pour lui, Mavis sera Melody Cool, et les deux se lancent dans une collaboration fructueuse qui aboutira en 1993 à un très grand disque : The Voice. À une époque où il était parfois difficile, depuis l’Europe, de retracer la trajectoire d’artistes situés aux marges des musiques américaines, il aura fallu se documenter pour comprendre qui était cette chanteuse à la voix puissante et à la diction parfaite, nouvelle « recrue » de la galaxie princière.

Via Mavis, on allait bientôt faire la connaissance d’une famille d’artistes, les Staple Singers, comprendre leur ancrage dans le ­gospel, et surtout intégrer la dimension spirituelle d’un combat politique ancestral. « When Will We Be Paid ? » (« Quand serons-nous payés ? »), demande la famille Staples dans l’un de ses morceaux emblématiques. Vingt ans avant It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back de Public Enemy, les Staples imposaient un texte pro-noirs et pro-réparations, une parole radicale sur fond de protest song.

Leçons de vie

Depuis les années 1990, Mavis Staples n’a cessé d’enregistrer, collaborant avec des musiciens de talent comme Ben Harper. Âgée aujourd’hui de 86 ans, la dernière survivante du clan Staples n’a rien perdu de son engagement et revient avec un quatorzième album solo, Sad and Beautiful World, sorte d’American Songbook mêlant soul, americana et folk.

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Parcours dans l’histoire des musiques populaires, mais aussi portrait d’une Amérique meurtrie, le disque évoque le déplacement de populations en quête d’un avenir meilleur (« Chicago » de Tom Waits, avec en prime Buddy Guy à la guitare), scande son message pour la paix (« We Got to Have Peace » de Curtis Mayfield) et dénonce avec force les violences policières (« Beautiful Strangers » de Kevin Morby).

Au long du disque, Mavis Staples nous délivre des leçons de vie, nous désespère, nous redonne espoir. Sa voix perçante et désarmante à la fois est comme « la fissure qui en toute chose laisse passer la lumière », vers bien connu du « Anthem » de Leonard Cohen, dont elle offre une reprise particulièrement ­inspirée.

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Musique
Temps de lecture : 3 minutes