« Peau de serpent », lumière noire

Précieux électron libre de la scène alternative française, Benoît Tranchand dévoile un captivant nouvel album tout en douce rugosité.

Jérôme Provençal  • 12 décembre 2025 abonné·es
« Peau de serpent », lumière noire
Huit chansons claires-obscures, à la fois douces et rugueuses, ardentes comptines pour adultes (et adolescent·es), porteuses d’une lumière noire irradiante.
© Céline Levain / Mirage Collectif

Peau de serpent / Benoît Tranchand / Club Teckel.

Connu sous son vrai nom comme auteur et éditeur de bande dessinée, Benoît Preteseille mène une vie artistique parallèle dans la sphère des musiques actuelles en se dissimulant derrière Benoît Tranchand, avatar drôlement incisif. On l’a d’abord entendu au sein de Savon ­Tranchand, projet porté à quatre mains et deux voix avec Sophie Azambre le Roy. Actif de 2007 à 2019, le binôme a publié plusieurs fort bons disques (certains accompagnés de livres illustrés), dans la veine d’une très inventive pop synthétique – en français – ludique et (dis)tordue.

La tonalité générale évoque le Dominique A minimaliste des débuts.

Depuis la fin du duo, Benoît Tranchand poursuit son cheminement musical, creusant en solo un sillon tout aussi décalé, entre nouvelle chanson française, cold wave et postpunk. Intitulé Peau de serpent, son troisième album – qui arrive après Intestin Club (2019) et Les Mauves (2022) – vient juste de paraître. Il a été mixé et arrangé par Benjamin Colin, fidèle comparse. Le musicien suisse Christian Garcia-Gaucher (membre du groupe Meril Wubslin), autre activiste de la pop francophone buissonnière, a aussi apposé sa patte délicate au niveau de la postproduction.

Plutôt court (32 minutes), l’album se révèle très dense, exempt de tout élément superflu. La tonalité générale évoque le Dominique A minimaliste des débuts, Taxi Girl sur son versant le plus aventureux ou encore les échappées libres de Pascal Bouaziz avec Mendelson ou Bruit noir. Irriguées par le vécu ou le ressenti de leur auteur, les paroles – précises et pénétrantes jusqu’au bord de l’opacité, en mode parlé-chanté – s’accouplent avec des parties musicales contrastées, plus ou moins rythmées, aux oscillations sophistiquées.

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« Auto-tampon », par exemple, répercute avec éclat l’écho intense des fêtes foraines de l’enfance. « Insomnie » plonge au cœur profond d’une nuit blanche traversée par la rumeur anxiogène du monde d’aujourd’hui. Particulièrement frappante et cathartique, « Erreur » fait resurgir l’accident violent à la suite duquel, à l’âge de 20 ans, Benoît Preteseille a été gravement brûlé. Peau de serpent délivre au total huit chansons claires-obscures, à la fois douces et rugueuses, ardentes comptines pour adultes (et adolescent·es), porteuses d’une lumière noire irradiante.

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Musique
Temps de lecture : 2 minutes