PMA, transition : les corps queers à l’épreuve des lois
En France, les lois qui encadrent les droits reproductifs sont soumises, implicitement, à la logique méritocratique, reproduisant au passage des discriminations homophobes et transphobes.
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© ESTELLE RUIZ / HANS LUCAS VIA AFP
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À Mayotte, un « mérite » très arbitraire pour les bacheliers étrangers Kaoutar Harchi, Dylan Ayissi : « Le mérite est une notion piège » Les oubliés de la République et la cuillère d’argent Féris Barkat : former et transformerÀ quoi pensez-vous quand vous entendez le mot « méritocratie » ? Au travail ? À l’école ? En réalité, ce mot pourrait aussi vous évoquer l’autonomie corporelle. Depuis 2021, en France, la procréation médicalement assistée (PMA) est ouverte aux femmes dites seules et aux couples de femmes, après des mois de débats parlementaires et médiatiques. Depuis l’adoption de la loi bioéthique, les délais pour avoir accès à cet accompagnement s’allongent d’année en année : selon l’Agence de la biomédecine, les femmes qui se lancent dans ce processus attendent en moyenne dix-huit mois entre le premier rendez-vous et la première insémination.
Entre ces deux échéances, la prise en charge médicale du parcours remboursé par l’État impose de nombreuses étapes, parmi lesquelles des entretiens avec un·e psychologue… et une vérification de « la motivation des deux membres du couple ». Une étape qui semblerait ubuesque si elle était imposée aux couples hétérosexuels fertiles, alors même que les inégalités d’implication au sein des foyers sont documentées depuis des décennies.
« Le problème, c’est d’avoir un double standard qui force les personnes queers à montrer beaucoup plus d’engagement. Ce n’est pas exigé des parents hétéros, qui peuvent e reproduire sans avoir à demander l’autorisation. Ce décalage permet d’interroger qui on veut ou ne veut pas voir devenir parent. Je pense qu’on rejoint ici l’idée de la méritocratie », souligne Gabrielle Richard, sociologue et
autrice de Faire famille autrement (éditions Binge). Le processus vise aussi à établir la « véracité » du couple, empêchant ainsi les personnes queers de se lancer dans une coparentalité entre ami·es ; pratique qui n’est pas encadrée chez les hétéros.
La sociologue déplore la standardisation du parcours : « Les dispositifs d’aide médicale à la parentalité sont conçus autour d’une norme hétéro. Les personnes queers ont donc l’impression de devoir s’y plier pour montrer qu’elles méritent d’être parents. » Et pour cause : le protocole est le même pour tous·tes, en couple hétéro, homo ou sans partenaire. Alors qu’elles ne présentent a priori pas de signe d’infertilité et qu’une des deux femmes ne portera pas l’enfant, les femmes lesbiennes doivent, comme le couple hétéro, se soumettre l’une et l’autre à une batterie d’examens médicaux parfois très invasifs.
L’épreuve de la « bonne » mère
Le parcours des combattant·es ne s’arrête pas au processus médical. Dans les couples lesbiens ayant recours à la PMA, la mère qui n’a pas porté l’enfant n’est pas reconnue comme parent d’emblée. Elle doit soit passer par une reconnaissance conjointe de l’enfant auprès d’un notaire avant même les inséminations (dispositif mis en place en 2021), soit se lancer dans une procédure d’adoption plénière La première est réservée aux processus de PMA encadrés par l’État. L’adoption plénière, elle, est une démarche longue et parfois coûteuse.
La mère « sociale » doit constituer un dossier dans lequel elle peut justifier d’au moins six mois de vie dans le même foyer que son enfant. À l’appui : un formulaire de « motivations », des attestations de proches qui certifient l’implication parentale, des photos de la mère prenant soin de l’enfant… « C’est de l’ordre de l’aberration : on en arrive à se mettre en scène, à changer de tenues plusieurs fois pour prendre toutes les photos le même jour. C’est complètement décorrélé de la démarche de parentalité, et c’est une violence de se prêter à ça pour adopter son propre enfant », s’indigne Gabrielle Richard. Une enquête sociale peut aussi être requise si le dossier « fait débat ».
En attendant, la mère « sociale » n’apparaît pas sur le livret de famille et n’a aucune existence juridique jusqu’à la fin de la procédure d’adoption. Elle n’a donc aucun droit sur l’enfant en cas de séparation ou de décès de l’autre parent.
Les témoignages de femmes grosses qui se sont vu imposer une perte de poids pour entamer un parcours de PMA se multiplient.
Comme dans n’importe quel parcours médical, les femmes à l’intersection de plusieurs discriminations ont plus de risques d’être mises à l’épreuve lors du processus de PMA, voire de subir des violences. Les services de fertilité n’échappent ni au préjugé du syndrome méditerranéen ni aux stéréotypes homophobes, validistes ou grossophobes.
Sur les réseaux sociaux et dans les médias, les témoignages de femmes grosses qui se sont vu imposer une perte de poids pour entamer un parcours de PMA — sans même qu’un bilan de santé ne soit réalisé — se multiplient. « C’est une manière de reconduire l’idée qu’une femme qui veut avoir un enfant est censée être capable de se contrôler, d’être en pleine possession de ses moyens. L’inverse de ce que les stéréotypes grossophobes nous disent des personnes grosses. Elles doivent donc encore plus prouver qu’elles sont capables », analyse Gabrielle Richard.
Enfin, signe d’un pouvoir décisionnaire qui prend encore très peu en compte les besoins des personnes queers, la fermeture de la maternité des Lilas (Seine-Saint-Denis) a été ordonnée par l’Agence régionale de santé en octobre dernier. Cette structure, fondée en 1964, pionnière de l’accouchement sans douleur et pratiquant l’avortement avant même sa légalisation, accompagnait les parentalités queers.
Parcours inégaux
La PMA est dite « pour toutes », alors même que la loi bioéthique exclut les personnes trans de ce dispositif. Les hommes trans qui ont fait préserver leurs gamètes ne peuvent plus en disposer après leur transition de genre.
Tal Madesta, journaliste et auteur de La Fin des monstres (éditions La Déferlante), décrypte cette exclusion : « J’ai plein d’amis qui s’empêchent de faire leur changement à l’état civil strictement pour pouvoir accéder à la parentalité […]. Les personnes trans sont de toutes façons découragées de se reproduire. Jusqu’en 2016, la France nous contraignait à être stérilisé·es pour changer d’état civil. La France a d’ailleurs été condamnée en 2017 par la Cour européenne des droits de l’homme pour ce motif. »
Gabrielle Richard abonde en ce sens : « Cette question démontre que, collectivement, nous ne souhaitons pas accorder le droit à la parentalité aux personnes trans. Alors que, pour les personnes cisgenres, la fertilité est un enjeu collectif, et qu’on va accepter de défrayer les coûts qui sont générés par les parcours reproductifs. »
Performance de genre
Côté administratif, dans leur parcours de transition, les personnes trans sont soumises à l’injonction de la preuve. Le changement de mention de « sexe » à l’état civil a tout à voir avec la reproduction de logiques méritocratiques. Contrairement à d’autres pays européens, la France ne se contente pas d’une déclaration en mairie. Selon l’article 61-5 du Code civil, la personne trans doit « démontrer par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue ».
Ici encore, le dossier sera examiné par un juge, qui peut demander à auditionner la personne demandeuse. Cette procédure vire parfois à la performance de genre. « Dans le fait même de judiciariser la procédure, il y a quelque chose de l’ordre de la méritocratie. D’un côté, nous sommes accusé·es de renforcer les stéréotypes de genre et, d’un autre, nous devons les reproduire, voire les exagérer, pour avoir accès à nos droits », déplore Tal Madesta. Depuis des années, les associations Toutes des femmes et Acceptess-T militent pour une procédure simplifiée.
Dans les couples lesbiens ayant recours à la PMA, la mère qui n’a pas porté l’enfant n’est pas reconnue comme parent d’emblée.
La transition de genre, lorsqu’elle est médicale et encadrée par l’État, impose des rendez-vous avec une équipe pluridisciplinaire : généraliste, endocrinologue, psychologue… et même psychiatre. En France, la transidentité n’est pourtant plus classée parmi les « troubles mentaux » depuis 2010. À cette période, les parcours médicaux étaient même conditionnés à des grilles d’échelle de la masculinité/féminité et à un « test de vie réelle ».
Une époque pas si lointaine qui a durablement marqué la communauté trans, et dont les pratiques continuent d’influencer la prise en charge des transitions en France, comme le souligne Tal Madesta : « Cela impliquait par exemple pour une femme trans de vivre en tant que femme dans l’espace public avant même qu’on lui autorise l’accès aux hormones. Encore aujourd’hui, il faut faire la preuve qu’on est capable de survivre à ces dangers : agressions, tentatives d’assassinat, suicide… »
Qu’elle soit administrative, médicale ou sociale, la transition de genre est donc rythmée par des étapes de validation par des tiers, et vient s’ajouter à la longue liste des procédures qui empêchent les personnes queers d’avoir accès à une autonomie corporelle.
Une forme d’ironie révoltante pour Gabrielle Richard : « On entend souvent que les personnes queers généreraient un impact négatif sur les enfants. On s’inquiète de leurs choix, alors même qu’elles et ils ont particulièrement réfléchi avant de se lancer dans ces processus, ont mobilisé leurs ressources et sont particulièrement motivé·es par ce projet. Ça parle d’une détermination particulière, voire d’un entêtement pour franchir les obstacles qui sont mis en travers de leurs chemins. » Une histoire de méritocratie, donc.
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