2025, année Trump, hélas !
L’avenir du trumpisme se joue aussi dans la capacité de l’Europe à lui résister en défendant une identité et des valeurs qui lui sont propres.

© ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP
Combien de fois les médias ont-ils prononcé ou écrit son nom au cours de l’année 2025 ? Trump est incontestablement l’antihéros de ces douze derniers mois. On peine à admettre qu’il n’est entré à la Maison Blanche que le 20 janvier dernier, tant il a chamboulé les équilibres planétaires. Mais d’où tient-il sa force ? D’abord d’un égocentrisme délirant, digne d’un Béranger 1er, Le Roi se meurt de Ionesco, dont la devise était « que tous meurent pourvu que je vive éternellement ». Mais la réponse psychologique est très insuffisante.
La force momentanée de Trump, c’est la récupération à son profit d’un héritage historique qui ne lui doit rien.
Tous les grands délirants, ivres de narcissisme, ne transforment pas le monde. Or, sans Trump, les grands criminels de guerre, Poutine et Netanyahou, n’auraient pas pu aller aussi loin dans l’accomplissement de leur projet. Les rafles d’immigrants n’auraient pas eu lieu aux États-Unis. La guerre à la science et à la culture ne se serait pas propagée dans les universités américaines. La vérité ne serait pas devenue relative jusqu’à ruiner toute référence commune. Les pauvres, les malades n’auraient pas été abandonnés à leur sort, en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient. Alors, d’où tient-il sa puissance ? En premier lieu, il faut le redire, de la faillite de ses prédécesseurs qui ont cru éternel un libéralisme injuste et arrogant, et du mépris d’une classe dominante qui sait, à l’occasion, se parer de bons sentiments.
Mais il y a plusieurs paradoxes Trump. Il tient son influence de l’histoire de son pays, du roi dollar, de la puissance de son industrie et de ses armes, d’un patrimoine accumulé pendant la Deuxième Guerre mondiale, et de la confiance que cette superpuissance a inspirée, pour le meilleur et pour le pire, à ce qu’on a longtemps nommé le camp occidental. La force momentanée de Trump, c’est la récupération à son profit d’un héritage historique qui ne lui doit rien, et qu’il est en train de dilapider : un soft power culturel et une stabilité économique et stratégique que l’on croyait à toute épreuve et qui s’affaiblissent de jour en jour.
Nos pays sont menacés de contagion
Le renversement géopolitique qu’il a opéré pour se rapprocher de Poutine, comme la guerre économique qu’il livre à la Terre entière avec ses droits de douane, font perdre à son pays le capital le plus précieux et le plus immatériel qui soit et qui s’appelle la confiance. La question est de savoir si une défaite de Trump aux midterms, les élections de mi-mandat de novembre prochain, et surtout en 2028, vont permettre à ses successeurs de réparer l’Amérique. On peut prédire que la réponse sera négative s’il s’agit de revenir à des Bush ou des Obama.
Mais l’avenir du trumpisme se joue aussi en Europe. Le vieux continent est la cible principale du président américain. Nos pays sont menacés de contagion. Il faudra le savoir à la veille d’échéances électorales décisives. Voter pour l’extrême droite, ou la favoriser par quelque manœuvre à courte vue, c’est importer le trumpisme de ce côté-ci de l’Atlantique, avec des ravages qui vont au-delà de la politique, au sens étroit du mot. Le piège dans lequel nos gouvernants courent tête baissée, c’est d’entrer en compétition avec Trump au lieu d’affirmer une identité qui se définit en opposition, par davantage de justice sociale et une constance dans la lutte contre le réchauffement climatique.
La carte que doit jouer l’Europe, c’est aussi celle d’un droit international aujourd’hui dévasté.
Dans une récente tribune, l’économiste Gabriel Zucman récusait l’idée d’un certain déclinisme européen. Il notait que l’Europe avait en moyenne davantage de loisirs, de meilleures performances de santé, plus d’égalité et moins d’émissions de carbone que les États-Unis, le tout avec une productivité globalement équivalente (1). Nous avons donc un « art de vivre » à défendre. La carte que doit jouer l’Europe, c’est aussi celle d’un droit international aujourd’hui dévasté. Il lui faudrait pour cela renoncer aux doubles standards : le droit en Ukraine mais la barbarie en Israël-Palestine. Il lui faudrait dépasser les égoïsmes nationaux que l’on voit à l’œuvre à propos du traité Mercosur : l’industrie automobile allemande contre l’agriculture française.
Lire aussi : « Le mythe du décrochage européen », Gabriel Zucman, 15 décembre 2025.
Certes, les Européens ne sont pas dotés d’un pouvoir fédéral à l’américaine – « L’Europe, quel numéro de téléphone ? », ironisait jadis Henry Kissinger –, et la question ne se pose guère aujourd’hui. Sans vouloir réécrire l’histoire, voilà pourtant un bon débat à mener au moment où Trump, autre paradoxe, s’en prend violemment au pouvoir central, congédiant des milliers de fonctionnaires et liquidant les agences fédérales.
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