À Mayotte, la police aux frontières expulse la mère d’un enfant en soins palliatifs
Placé en soins palliatifs pour une hépatite A fulminante, N. a failli mourir seul. La raison : la police aux frontières de Mayotte avait choisi ce moment pour expulser sa mère Fatima, d’origine comorienne.

Se faire « pafer ». Les interpellations par la police aux frontières (PAF) sur Mayotte sont si massives que Comoriens et Mahorais en ont fait un verbe. En 2024, plus de 22 000 personnes, y compris des enfants, ont été envoyées au centre de rétention administrative (CRA) de Petite-Terre, pour être ensuite expulsés, la plupart du temps, vers les îles comoriennes. C’est ce qui est arrivé « banalement » à Fatima, 34 ans, une Comorienne. Sauf que son histoire n’est pas banale, elle est tragique.
Fatima, mariée très jeune, avait un fils aîné de 20 ans. Un fils soigné pour une hépatite A fulminante sur un foie cirrhotique, dont le pronostic vital à court terme était engagé. « N. est né à Mayotte. Mais faute de papier, il n’était pas considéré comme français et donc pas éligible à la greffe de foie », explique le Dr J. Lors de crises aiguës, il devait donc faire des séjours réguliers à l’hôpital de Mamoudzou, au nord est de l’île, pour y recevoir les traitements palliatifs impossibles à lui administrer dans le banga (bidonville) de Dzoumogné, à une trentaine de kilomètres de là, où il résidait avec sa famille.
Le 21 octobre dernier, Fatima prend un taxi collectif pour rejoindre le centre hospitalier de Mamoudzou (CHM) où son fils reçoit ses soins palliatifs. C’est ce jour-là qu’elle s’est fait « pafer ». L’interpellation a lieu à Kaweni, dans la banlieue de Mamoudzou, non loin de l’hôpital.
La mère de N. présente aux forces de police un certificat signé d’un médecin de l’hôpital, attestant que son fils est « hospitalisé en service de médecine au CHM » et que « son état de santé nécessite la présence de ses proches à ses côtés, Fatima, mère de ce jeune patient » alors en phase terminale. Elle est en situation irrégulière, les policiers ne veulent rien entendre de cette situation dramatique. L’un d’entre eux lui aurait lancé : « Si vous voulez, prenez vos malades et emmenez-les avec vous aux Comores ».
Si vous voulez, prenez vos malades et emmenez-les avec vous aux Comores.
Police
Il est 8 heures du matin, Fatima se fait confisquer son téléphone et se retrouve embarquée dans le véhicule de police sans possibilité de prévenir ni son fils, ni les services de l’hôpital, ni une voisine de son banga où sont restés ses autres enfants en bas âge, le plus jeune ayant 4 ans. Le véhicule de la PAF va poursuivre ses interpellations dans les rues de Kawéni jusqu’à 15 heures, laissant Fatima et les autres passagers « sans eau et sans nourriture » sous des températures avoisinant les 30 degrés à l’ombre en cette saison.
« Pour moi, le monde s’est effondré »
Le soir même, Fatima est embarquée pour Petite-Terre qui fait face à Mamoudzou, où se trouve le centre de rétention administratif (CRA). Là, « ils ont voulu que je signe un papier comme quoi j’acceptais d’être renvoyé aux Comores », ce qu’elle refuse en pensant à son fils hospitalisé. Un refus qui ne va rien changer. Seul espoir pour Fatima, la visite au matin d’un assistant social qui prend note de son cas et la fait mettre à part.
Espoir rapidement déçu, elle doit monter à bord d’un bus qui l’amène de force au bateau pour Anjouan. « Pour moi, le monde s’est effondré. Je laissais mon fils seul à l’hôpital avec personne pour s’en occuper », pleure-t-elle. Déjà en 2023, un rapport de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, suite à une visite du CRA de Mayotte, indiquait que « les mesures d’éloignement assorties de placement en rétention édictées dans la foulée le sont sans vérification de la situation personnelle des intéressés. »
Ce n’est qu’à bord de ce bateau que Fatima peut prévenir par téléphone sa voisine, laquelle alertera l’hôpital. Un médecin envoie aussitôt un message au CRA indiquant que l’état de santé de « ce jeune patient nécessite un retour à domicile avec des soins (…) qui ne sont rendus possibles qu’en présence de son seul parent, c’est-à-dire sa maman. La présence à Mayotte de Mme X est donc absolument nécessaire et précieuse pour offrir à son fils une prise en charge palliative optimale et digne au domicile ».
Il est trop tard, le bateau a déjà appareillé pour les Comores. Fatima laisse un fils mourant, anxieux et agité à l’hôpital et quatre autres enfants en bas âge dans son banga. C’est sa voisine qui les prendra en charge pendant quinze jours, le temps que Fatima emprunte auprès de proches les 400 euros pour payer le passeur qui la ramènera illégalement à Mayotte, de nuit, en kwasa-kwasa, ces petites embarcations de pêcheurs qui traversent depuis toujours les 70 kilomètres qui séparent Anjouan de Mayotte. Un périple dangereux.
Quand la PAF est devant l’hôpital, on le sait parce qu’on a personne en consultation ce jour-là.
C., médecin
Son fils N., lui, a été ramené entre-temps au banga, une baraque de tôle et de bois où courent sur la terre battue les rats qui infestent les lieux. Seule et bien mince consolation, Fatima l’a retrouvé à temps, quelques jours avant qu’il ne s’éteigne, apaisé, dans ses bras.
Rafles
Aussi dramatique que soit ce témoignage, il est malheureusement banal. Outre un commissariat installé juste en face du CHM, la PAF a pris l’habitude d’effectuer des contrôles devant l’entrée du service de radiologie. Conséquences, bon nombre de patients renoncent à se faire soigner à l’hôpital faute de papiers en règle.
Selon J. et L., infirmière et aide-soignante au CHM, « c’est sans doute près de 20 % des gens qui renoncent à venir à un rendez-vous par peur d’être « pafés ». D’autres renoncent aux médicaments par crainte de venir à la pharmacie de l’hôpital ». Elles se souviennent de cette mère qui voulait se rendre au service pédiatrie et « qui a été embarquée au CRA où on lui a annoncé la mort de son bébé, resté seul à l’hôpital ». De toute façon, « quand la PAF est devant l’hôpital, on le sait parce qu’on a personne en consultation ce jour-là », s’indigne C., un autre médecin.
Le Dr J. se souvient, elle, d’une patiente dont la chimiothérapie pour un cancer du sein a été interrompue car « pafée et renvoyée aux Comores ». Les histoires se multiplient et donnent une consistance humaine aux chiffres de la Contrôleuse des lieux de privation de liberté : « En 2022, presque 29 000 personnes dont 3 317 enfants, ont intégré le CRA ou un LRA (de Mayotte), soit 64 % des placements en rétention sur le territoire français. 97,25 % des enfants placés en rétention en France le sont à Mayotte, dans des conditions particulièrement indignes ».
On fait à Mayotte autant de reconduites à la frontière que sur tout le reste du territoire français.
R. Calvar
« On fait à Mayotte autant de reconduites à la frontière que sur tout le reste du territoire français », explique sur son site Rozenn Calvar, coordinatrice générale du programme de Médecins du Monde dans l’île. Ces « rafles » comme les qualifient certains se déroulent sur toute l’île et « jusqu’au sein des habitations ». Une conséquence de l’instauration en 1995 du « visa Balladur ».
Jusqu’à cette date, la libre circulation était de mise entre les quatre îles des Comores et de Mayotte. « L’instauration du visa Balladur empêche cette libre circulation et ce qui constituait jusque-là une mobilité familiale et économique devient “immigration irrégulière“, explique Médecins du Monde. C’est en quelque sorte à cette date que Fatima et tous les autres Comoriens sont devenus des « étrangers » sur une île où ils ont, de temps immémoriaux, des liens familiaux.
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