L’altermondialisme revisité

Thierry Brun  • 21 septembre 2007
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Le cinquième Congrès Marx International se déroulera du 3 au 6 octobre, sur le thème « Altermondialisme–Anticapitalisme » et réunira près de 400 chercheurs, d’une dizaine de disciplines. Politis a interrogé cinq spécialistes qui participeront à ce congrès.

L’altermondialisme et la philosophie font-ils bon ménage ?

Stéphane Haber (philosophe) : La montée en puissance des mouvements altermondialistes est ce qui est arrivé de mieux à la philosophie politique depuis longtemps. Elle a permis de renouveler toute une série de problématiques normatives classiques – justice sociale, internationalisme, démocratie, écologisme – tout en obligeant à les articuler entre elles pour les ajuster aux enjeux de l’époque présente. Elle nous a fait sortir des orientations scolastiques de la philosophie politique récente, en gros polarisée autour de l’alternative libéralisme/ communautarisme et de la question des droits de l’homme. Comme à d’autres moments de l’histoire, la réflexion philosophique peut aider à concevoir des alternatives au présent dont certaines devront être radicales puisque des questions de survie sont engagées. C’est dans cet esprit que nous avons mis en place une douzaine d’ateliers qui chercheront à faire fructifier pour aujourd’hui de grands héritages critiques (Marx, la Théorie Critique, le Républicanisme…) ou encore à dessiner les grandes lignes d’un cosmopolitisme démocratique qui ne reculerait pas devant l’idée d’un après-capitalisme.

Quelle est la signification de l’« écosocialisme », dont vous vous réclamez ?

Michael Löwy (sociologue) : Notre perspective d’altermondialistes et adversaires du capital n’est pas celle d’un aménagement « vert » du capitalisme. Il s’agit d’une action faisant siens les acquis fondamentaux du marxisme – tout en le débarrassant de ses scories productivistes. La logique du marché et du profit – de même que celle de l’autoritarisme bureaucratique de feu le « socialisme réel » – est incompatible avec la sauvegarde de l’environnement naturel. La rationalité bornée du marché capitaliste, avec son calcul « immédiat » des pertes et profits, est incompatible avec la rationalité écologique, celle de la temporalité longue des cycles naturels.
Contre le fétichisme de la marchandise et l’autonomisation réifiée de l’économie par le néo-libéralisme, l’enjeu pour l’avenir est la mise en œuvre de politiques fondées sur des critères non-monétaires et extra-économiques : la « réintrication » de l’économique dans l’écologique, le social et le politique – un véritable changement de civilisation.

En quoi la pensée et le mouvement féministes ont-ils été déterminants pour le courant altermondialiste ?

Elsa Dorlin (philosophe) : D’une part, les femmes sont les premières victimes de la mondialisation néolibérale : acculturation, « informalisation » du travail, paupérisation et précarisation. En témoigne, par exemple, le travail de reproduction et de care [soins], au Nord, des migrant-e-s du Sud (travail domestique, sexuel, soin des enfants, des personnes âgées ou handicapées), ainsi que la mobilisation de ces travailleuses. D’autre part, la pensée et les mouvements féministes ont été déterminants dans la mobilisation altermondialistes, apportant des outils puissants : l’écoféminisme, l’action directe non violente, et une épistémologie du « point de vue » – des vaincues, des dominées, des oubliées… – contre une l’idéologie TINA (There Is No Alternative : l’absence d’alternative). Il en résulte une meilleure compréhension des dominations et luttes, de genre, de classe et de « race » : qui est le « nous » de « nous voulons un autre monde » ?

Sortir du capitalisme néolibéral est-ce sortir du capitalisme tout court ?

Dominique Lévy (économiste) : Le néolibéralisme définit l’étape du capitalisme, imposée par les classes capitalistes il y a 25 ans, aux plans national et international (un ordre néolibéral-impérialiste sous hégémonie états-unienne). Il s’est substitué au « compromis social-démocrate » de l’après-guerre. Malgré tous ses défauts (destruction de la planète, guerres coloniales etc.), les pouvoirs et revenus des classes capitalistes, actionnaires et créanciers, s’étaient trouvés « contenus » ; les politiques visaient l’emploi et le pouvoir d’achat ; progressait la protection sociale… Le problème est que cette dynamique d’endiguement s’est graduellement « fissurée » sous la poussée des luttes des classes dominantes, jusqu’au basculement néolibéralisme, au cours de la crise structurelle des années 1970. Les forces de progrès, dont l’altermondialisme est une des composantes, doivent établir un nouveau compromis, plus conséquent, fort et ambitieux que le précédent, susceptible de mener la tâche à son terme : construire un post-capitalisme.

Comment se pose la question des luttes dans la phase actuelle du capitalisme néolibéral ?

Jean Lojkine (sociologue) : Depuis le réveil des mouvements sociaux nationaux ou mondiaux, on ne peut que constater le décalage persistant entre les luttes sociales et leur représentation politique. Les mouvements contestataires interpellent les pouvoirs publics, et les formations partisanes se réfèrent à l’opinion en sollicitant le soutien populaire. Mais la question du passage au politique reste en suspens. Il s’agit de mieux comprendre les blocages, les retards, les ruptures culturelles et générationnelles qui paralysent aujourd’hui la mobilisation politique contre le capitalisme en tant que tel. L’antilibéralisme affiché par tous les mouvements altermondialistes n’est-il qu’un faux consensus face au désarroi des forces progressistes devant la vigueur de l’offensive mondiale néolibérale ? L’idéologie commune à tous ces mouvements de lutte marque-t-elle au contraire une étape positive dans la recomposition politique des forces progressistes ?

Propos recueillis par Thierry Brun

Altermondialisme–Anticapitalisme : Pour une cosmopolitique alternative

Au seuil du troisième millénaire, le capitalisme néolibéral déploie une dynamique d’asservissement et de violence renouvelée. Le mouvement altermondialiste a fait surgir une logique mondiale des solidarités, mettant en avant un mot d’ordre universel : « un autre monde est possible ». Mais pourra-t-il éluder les questions les plus redoutables : Comment changer le monde dans le capitalisme ? Et pour quel autre monde non capitaliste ? Comment penser de bas en haut une autre cosmopolitique ? La séance d’ouverture, le 3 à la Sorbonne, sera menée par Samir Amin, Gayatri Chakravorty Spivak et Chico Whitaker.

Congrès Marx International V à l’initiative d’Actuel Marx, Sorbonne et Université de Paris-X, du 3 au 6 octobre 2007.
Contact : Actuelmarx@u-paris10.fr

http://netx.u-paris10.fr/actuelmarx/

Temps de lecture : 5 minutes
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