Big blues à IBM, suite

Thierry Brun  • 25 octobre 2007
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Le quotidien Le Monde , dans son édition datée du jeudi 25 octobre, a publié un article intitulé : « Le “moule IBM” inflige des souffrances au travail » . Ces informations publiées sur le blog de Politis (Big blues à IBM) depuis le 18 septembre ont suscité un certain nombre de témoignages sur les problèmes de souffrance au travail sur le site de La Gaude (Alpes-Maritimes). Ainsi, on a pu apprendre dès le 3 octobre sur le blog de Politis ce que Le Monde a mis en une le 25 octobre. La direction départementale du travail des Alpes-Maritimes a adressé le 18 septembre une lettre au « directeur des relations sociales » du site, indiquant que le groupe IBM est « mis en demeure » de réaliser, d’ici quatre mois, une « évaluation des risques professionnels de souffrance mentale existant dans [son] établissement » . Délégué du personnel d’IBM-La Gaude et syndiqué CGT, Serge Kerloc’h avait même ajouté sur le blog de Politis que cette mise en demeure « est la première en 45 ans d’histoire du site d’IBM La Gaude » .

Le syndicaliste a également livré une autre information qui est absente de l’article du Monde et qui est à l’origine d’un mouvement social chez IBM, le 25 octobre. « La direction d’IBM a annoncé au comité central d’entreprise d’IBM le 2 octobre à 16 h 30 ceci : IBM et AT&T [géant américain des télécommunications] ont annoncé aujourd’hui avoir signé au niveau mondial un “Master agreement” portant sur le projet d’extension des services déjà prêtés par AT&T pour IBM » . En clair, le contrat entre IBM et le géant des télécoms AT&T prévoit, pour 60 à 80 millions de dollars, la vente de logiciels et d’ingénieurs et donc de services informatiques. Les sites de Lyon, Montpellier, l’Île-de-France et La Gaude (le plus concerné avec 23 transferts) sont concernés par cette décision.
« Une réunion express du management a eu lieu le 3 octobre à 10 heures, détaille Serge Kerloc’h. Des activités seront transférés de IBM vers ATT avec potentialité de transfert de personnel et plusieurs sites sont touchés à IBM france. Les partenaires sociaux n’ont été consultés qu’a partir du 24 octobre. L’annonce ayant été faite le 3 octobre constitue une violation de la procédure légale, il s’agit d’un délit d’entrave à l’exercice du comité d’entreprise. Mais au-delà de cet aspect légal, la direction locale s’inquiète plutôt de la baisse de motivation du personnel concerné qui sait maintenant qu’il risque de faire l’objet d’un transfert selon les termes de l’article L-122-12 du code du travail. Le management nous invite à lui poser des questions alors qu’il dit ne rien savoir. Le personnel a demandé a ce que la communication de la direction soit moins cynique. En effet, les acquisitions d’IBM sont présentées sur un site web sous la forme d’un jeu de monopoly. Sauf que le personnel ne prend pas 20 000 euros au passage. L’inspecteur du travail a été immédiatement sollicité pour lui faire prendre connaissance de ce délit et de ce mépris du personnel. Nous sommes traités comme un bâtiment à la découpe, nous ne sommes plus que des pions sur un jeu mondialisé et déshumanisé » . Le directeur du site gaudois, Jacques Gros, a cependant confirmé le 4 octobre dans Nice Matin « être au courant » et que La Gaude se trouve « bien dans le périmètre » de l’accord IBM-AT&T. Et l’inspecteur du travail sollicité n’a rien trouvé d’illégal à la procédure utilisée par IBM, à l’exception du délit d’entrave que constitue l’annonce du transfert du personnel par voie de presse avant que le comité d’entreprise n’en soit informé.

L’intersyndicale CFDT, CFE-CGC, CGT, FO, SNA et Unsa de La Gaude a indiqué dans un tract distribué lors d’une manifestation organisée le 25 octobre devant la direction du site, que le personnel des services informatiques concernés n’a « aucune garantie du transfert de tous les contrats en cours avec le personnel migré chez AT&T » et n’a « aucune garantie de retour à IBM en cas de menace avérée sur les jobs transférés » . Dans une déclaration commune, les syndicalistes expliquent qu’IBM a commencé le « démantèlement de son entité Infogérance-Service Delivery au niveau mondial » . 4 000 salariés seraient visés par cette opération, dont 1 000 en Europe et 84 en France. « Pour ce faire, IBM Corp. a signé un accord avec le géant AT&T des services de télécommunications, bien implanté aux Etats-Unis, mais très mal en dehors ! Avec une présence minimale dans certains pays, seulement 150 personnes en France, AT&T ne peut faire face aux opérateurs historiques européens tels que France Telecom. Il est prévu de nous “transférer” (via la procédure L122-12) vers une filiale AT&T créée pour l’occasion, AT&T Global Network Services SA [AT&T GNS], avec des risques majeurs pour nos emplois » . Les syndicalistes ajoutent que « la pérennité de la nouvelle entité AT&T GNS est encore plus fragile quand on sait qu’AT&T n’a pas une bonne image en Europe. Certains gros clients d’IBM ne veulent pas être gérés par AT&T et la nouvelle entité est totalement méconnue des “petits et moyens” clients » . Dans un tel contexte, comment « imaginer que nous conserverons les clients actuels en France et que nous pourrons en gagner de nouveaux dès 2008 ? Les 4 plus gros clients NSD France représentent 75 % de notre business, du revenu actuel : Il suffirait que ces 4 clients refusent d’être gérés par AT&T, comme ils en ont le droit, pour voir 75 % de notre activité disparaître !! Avec les conséquences que l’on imagine… »

Nommé en mars, le nouveau PDG d’IBM France, Daniel Chaffraix, avait annulé en septembre un plan de sauvegarde des emplois (PSE) qui devait définir l’ensemble des moyens et dispositions permettant de maintenir l’emploi et d’éviter des licenciements. Le groupe a manifestement changé son fusil d’épaule et décidé de réduire à nouveau les effectifs de plusieurs sites. « IBM est une entreprise sous tension, dans une industrie extrêmement compétitive » , reconnaissait il y a quelques mois Tim Stevens, directeur des ressources humaines d’IBM France, à propos des statistiques sur la santé au travail publiées par plusieurs médecins du travail, dont celui de La Gaude. Réduction des effectifs, surcharge de travail sont autant de difficultés qui occasionnent stress et tension auprès de deux tiers des membres de la multinationale, révélaient les enquêtes.
Les syndicalistes et les médecins du groupe ont depuis quelques mois tiré le signal d’alarme, alors qu’avec cette stratégie le groupe engrange les profits. « 13 milliards de dollars de dividende ont été versées aux actionnaires en 2007 pour seulement 0,2 % d’augmentation au personnel, souligne Serge Kerloc’h. Un mépris scandaleux du personnel a produit cette richesse. IBM a procédé le 30 mai à un programme de rachat de titres pour 12,5 milliards de dollars, équivalent 118,8 millions de titres représentants 8 % des titres qui sont monté de 99 à 105 dollars. Du coup, la prévision de croissance a augmenté de 3 % » .

Lire aussi Des ingénieurs IBM vendus comme du bétail , L’Humanité du 10 octobre.

Temps de lecture : 6 minutes
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