Nouvelle-Calédonie : le retour du syndrome colonial ?

La récente visite du ministre de l’Outre-mer à Nouméa suscite l’inquiétude. Les Accords de Matignon de 1988 seraient-ils discrètement remis en cause par le gouvernement ?
L’analyse d’Alban Bensa, anthropologue, spécialiste de la Nouvelle-Calédonie*.

Alban Bensa  • 25 octobre 2007 abonné·es

Un équilibre relatif et fragile des forces se maintient en Nouvelle-Calédonie depuis la signature des Accords de Matignon et d’Oudinot en 1988 et de l’Accord de Nouméa en 1998, lui-même ratifié par un référendum local (72 % de suffrages favorables). En 2007, l’une des plus pressantes exigences indépendantistes (la limitation du corps électoral, pour les élections territoriales et provinciales, aux seules personnes ayant voté en 1998 et à leurs descendants) a fait l’objet d’une modification de la Constitution française, ratifiée en congrès à Versailles. Quelle mouche a piqué le ministre de l’Outre-Mer pour mettre en péril cette architecture institutionnelle patiemment construite et garante jusqu’à présent de la paix sur le « caillou » ?
Christian Estrosi a, ces dernières semaines, renoué avec les pires attitudes coloniales lors d’une visite tambour battant à Nouméa et en quelques lieux phares de la Grande Terre et des îles Loyauté. N’accordant que quelques minutes à chacun de ses interlocuteurs, qu’il s’agisse de présidents des Provinces, de chercheurs ou de responsables politiques, il a préféré piquer une tête dans le lagon devant les caméras de télévision. Sur fond de climat social difficile en Nouvelle-Calédonie, M. Estrosi n’a rien trouvé de mieux que d’intimer l’ordre au préfet de Nouvelle-Calédonie de faire donner les gendarmes contre un barbecue bruyant organisé à Nouméa par l’USTKE (principale force syndicale) en contrepoint d’une réception officielle à laquelle il participait. Le préfet, Michel Mathieu, représentant de l’État dans l’archipel et à ce titre garant de l’ordre public, s’y est opposé et a démissionné le 13 octobre.

Pour toute analyse de la situation calédonienne, Christian Estrosi n’a cessé de répéter à la cantonade qu’avant tout la Nouvelle-Calédonie devait rester française. Multipliant les invectives et les rodomontades à l’encontre de toute la classe politique calédonienne, le ministre a brillé par sa méconnaissance totale du dossier, au point d’inquiéter vivement tous les partenaires de l’Accord quant à la politique que le président de la République entend mener en Nouvelle-Calédonie.

Les chefs de l’UMP locale lui avaient sans doute monté la tête en ce sens. Plus grave, Christian Estrosi s’est senti d’autant plus enclin à de telles gesticulations que Nicolas Sarkozy avait cru bon, en 2006, avant d’adopter durant sa campagne une position plus ambiguë, de lancer au président de la Province Nord, Paul Néaoutyine, qu’une fois élu il « remettrait tout à plat ». Le leader indépendantiste lui avait répondu : « Dans ce cas, nous saurons remettre les pendules à l’heure. » En reprenant le même ton, le ministre de l’Outre-mer sème un doute profond sur la volonté du gouvernement français de respecter l’Accord de Nouméa. Reviendrait-on à l’aveuglement d’un Bernard Pons, de triste mémoire, qui, il y a vingt ans, mit le pays à feu et à sang jusqu’à provoquer le drame d’Ouvéa ? Venant de l’État, tout propos partial en Nouvelle-Calédonie réveille le souvenir de cette période dramatique et ravive les tensions.

L’élection présidentielle a déjà remis face à face les indépendantistes (soutenant Ségolène Royal) et leurs adversaires, qui se sont ralliés massivement à Nicolas Sarkozy. L’arrivée de France ces dernières années, en rangs serrés, d’une population qui ne rêve que d’argent et de soleil au mépris des spécificités politiques calédoniennes et le retard pris dans l’application des dispositions de l’Accord de Nouméa (transfert de compétences, choix de nouveaux signes identitaires, préparation à l’horizon 2012 d’une série de référendums d’autodétermination) accroissent encore le climat d’incertitude sur le caillou. Dans ce contexte où chacun est à vif, il est particulièrement dangereux de revenir en arrière et de s’opposer au processus prévu par l’Accord de Nouméa.

Mais les réflexes coloniaux sont, semble-t-il, bien ancrés dans l’entourage du président de la République. Les coups de menton de Christian Estrosi font tristement écho à l’amendement vichyste sur les tests ADN, à l’exaltation d’une « identité française » plus biologique qu’historique et au refus de toute repentance pour les crimes commis par la France vis-à-vis des Juifs et au sein de son ex-empire colonial. Le séjour tonitruant du ministre de l’Outre-mer en Nouvelle-Calédonie, loin d’être un épiphénomène, nous révèle la face la plus sombre du sarkozysme, celle qui unit la droite et l’extrême droite, dans un bonapartisme autoritaire qui n’entend rien aux droits des peuples à s’autodéterminer et veut imposer aux réalités locales de la Nouvelle-Calédonie et du Pacifique une logique française à sens unique.

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