Europe : Le non de la Commission passe mal

Thierry Brun  • 10 décembre 2007
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Le lobbying des mutuelles de santé n’aura pas fonctionné face au libéralisme ultra de la Commission européenne. Ce n’est que le 10 décembre que la lettre de l’Agence fédérale d’information mutualiste (Afim) publie en une ce constat de cuisant échec : « Services d’intérêt général : la Commission européenne renonce à légiférer », alors que la décision remonte au 20 novembre (voir document PDF).

En publiant en novembre une communication sur les services publics ou services d’intérêt général (SIG), la Commission y a inclus dans la foulée les services sociaux d’intérêt général (SSIG), cheval de bataille des mutuelles de santé, des associations d’insertions et des services sociaux et de santé réunis dans un collectif SSIG-FR (1). Seul mot d’ordre de Bruxelles : pas question de légiférer en la matière. Et ce n’est que le 10 décembre que l’Afim, émanation de la Mutualité française (qui regroupe l’ensemble des mutuelles de santé en France), regrette qu’après quatre ans de réflexion, la Commission européenne en soit arrivée à ne rien décider sur les services sociaux d’intérêt général (SSIG). Le contraire eût été surprenant de la part de la Commission, tant est forte la volonté de privatiser ce qui relève des protections sociales. En témoigne le combat contre la directive Bolkestein et la bataille en France pour le non au TCE en 2005.

La déception est donc grande au sein des mutuelles de santé qui sont régies par le code de la mutualité et sont sans but lucratif, à la différence des assureurs privés. Elle est d’autant plus grande que le 19 novembre, c’est-à-dire la veille de cette décision, une pétition réunissant 510 000 signatures en faveur d’une législation européenne sur les services publics était remise à José Manuel Barroso, président de la Commission, par la Confédération européenne des syndicats. Cela n’a pas empêché Manuel Barroso de juger inutile l’adoption d’une directive-cadre avec cette explication qui devrait susciter quelques réactions de la part des partisans d’un référendum sur le traité modificatif européen. Pour le président de la Commission, explique l’Afim, le protocole sur les SSIG, introduit dans le nouveau traité de Lisbonne, qui entrera en vigueur en 2009, suffit : « Nous ne pouvons pas faire mieux en terme de valeur légale ». L’argument n’a pas de quoi rassurer.

La Commission nie « les problèmes de tension entre certaines dispositions du droit communautaire du marché intérieur et le bon accomplissement des missions d’intérêt général à finalité sociale », déplore le collectif SSIG-FR. Le choix de s’en remettre « au contentieux communautaire » pour régler les problèmes « n’est plus tenable après les “non” aux référendums français et hollandais ». L’Afim note aussi que cette « politique laisse, en outre, les opérateurs des SSIG dans une grande insécurité juridique ». L’Agence rappelle que ces dernières années, « l’application des règles concernant les compensations versées par les Etats aux organismes gérant le régime de protection sociale complémentaire [les complémentaires santé en grande majorité gérées par les mutuelles de santé] a fait l’objet de contestations et de contentieux devant la Cour de justice des communautés européennes ».

La traque libérale de la Commission va loin. Elle vient d’ouvrir une enquête pour vérifier si le nouveau régime fiscal des organismes assureurs, adopté en décembre 2006 dans la loi de finances rectificative, « est compatible avec les règles du traité de la communauté européenne en matière d’aide d’Etat ».

« La balle est désormais dans le camp du Conseil et du Parlement européen », estime pour sa part le collectif SSIG. Les réseaux français espèrent une initiative des eurodéputés et de la future présidence française. Le collectif, lui, organisera le 28 janvier une conférence sur le thème des SSIG, à Bruxelles.

(1) Les membres du collectif SSIG-FR sont présents dans les réseaux européens représentatifs des services sociaux et de santé et autres services d’intérêt général. Le collectif est né avec la directive services (voir son appel du 31 janvier 2006 pour une exclusion des SSIG). Il regroupe en France les organisations suivantes : CEEP France : section française du Centre Européen des Entreprises à Participation Publique et des entreprises d’intérêt économique général, membre du dialogue social européen, FAPIL : Fédération des Associations pour la Promotion et l’Insertion par le Logement, FEHAP: Fédération des Etablissements Hospitaliers et d’Assistance Privés à but non lucratif, FHF : Fédération Hospitalière de France, FNARS : Fédération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale, FNMF : Mutualité française, FNSEM : Fédération Nationale des Sociétés d’Economie Mixte, MFP : Mutualité Fonction Publique, MGEN : Mutuelle Générale de l’Education Nationale, MSA : Mutualité Sociale Agricole, PACT-ARIM : Mouvement pour l’amélioration de l’Habitat, UNCCAS : Union Nationale des Centres Communaux d’Action Sociale, UNIOPSS : Union Nationale Interfédérale des Œuvres et Organismes Privés Sanitaires et Sociaux, USH : L’Union sociale pour l’habitat.

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