« La semaine de quatre jours accroît les difficultés »

Dès la prochaine rentrée, l’école sera supprimée le samedi matin. Hubert Montagner[^2] revient sur cette décision autoritaire du ministre de l’Éducation nationale.

[^2]: Docteur ès sciences, professeur des universités, ancien directeur de recherche à l’Inserm.

Hubert Montagner  • 15 mai 2008 abonné·es

On doit d’abord regretter que le président de la République et le ministre de l’Éducation nationale fassent preuve de démagogie. En effet, leur annonce coïncide avec des sondages qui font état de l’adhésion de 75 à 80 % des parents à la suppression du samedi matin scolarisé. Mais sans répondre à des questions essentielles pour le bien-être, l’équilibre et la réussite scolaire de tous les enfants, en particulier ceux qui sont en difficulté.

Comment et avec quels moyens va-t-on accueillir le samedi matin les enfants dont les parents travaillent et ceux qui ne ­peuvent pas supporter le climat délétère d’un milieu familial en souffrance, et que l’on re­trouve « à la rue » dès 8 h 30 ou 9 h dans les banlieues qui pratiquent la semaine de quatre jours […] ?

Comment seront organisées les dif­férentes journées scolaires ? Le ministre […] entretient la confusion quand il déclare dans un entretien accordé au Monde (29 septembre 2007) : « Ce que le gouvernement propose, c’est ce que la plupart des pays font et je n’ai pas l’impression que les enfants soient particulièrement traumatisés. » Il « oublie » de dire que, si le samedi matin est effectivement « libéré » dans la plupart des pays, l’organisation des journées scolaires et le mode de fonctionnement de l’école y sont différents. […]

Inspecteur général de l’Éducation nationale avant d’être nommé au gouvernement, le ministre ne peut ignorer le rapport sur les « rythmes scolaires » élaboré en 2001 par le corps des inspecteurs généraux du premier degré. Ce document était particulièrement sévère pour la semaine de quatre jours. Ce qui était vrai en 2001 ne le serait-il plus aujourd’hui ? […]

N’importe quel observateur peut constater que la trop longue durée de la journée scolaire (6 heures de « temps contraint ») est génératrice chez de nombreux enfants d’épuisement, de stress, de démotivation et de « désamour » pour l’école. Il faut parfois ajouter une heure de devoirs à la maison ou davantage, la durée du transport entre la maison et l’école, et, pour beaucoup, le temps de la cantine.

Répétées toute la semaine et d’une semaine à l’autre, de telles journées sont insupportables pour de nombreux enfants. […] L’après-midi, ils sont éteints, non ­réceptifs et non disponibles, agités et désordonnés. Croit-on qu’ils peuvent s’engager avec réussite dans les apprentissages requis alors que, pourtant, lorsque les rythmes biopsychologiques sont respectés, le créneau de 14 h 30-16 h 30 peut être un moment d’attention sélective et d’apprentissage ? […] Et on voudrait ajouter un soutien scolaire entre 16 h 30 et 18 h ? Le président de la République et le ministre de l’Éducation nationale savent-ils que les enfants (tous les enfants) ont besoin de « souffler » et de jouer dans la journée, même quand il ­s’agit d’un jour scolaire, et que le jeu est un élément essentiel de leur développement ? Savent-ils qu’en arrivant à l’école beaucoup d’enfants ont d’abord besoin d’être rassurés, surtout quand ils sont en difficulté, et que rien n’est possible sans sécurité affective ?

La semaine des quatre jours accroît les difficultés pour plusieurs raisons : talonnés par les exigences du programme et ­l’obligation de performances, nombre d’enseignants essaient de faire en quatre jours ce qu’ils faisaient en quatre jours et demi […] ; il n’est pas rare que, faute de temps pour assurer le programme prévu, les maîtres gardent les enfants après 16 h 30 ; le lundi est un jour encore plus perturbé que dans le cadre de la semaine de quatre jours et demi ; enfin, la réduction des petites va­cances ne permet pas aux enfants (et aux enseignants) de se reposer des fatigues accumulées pendant les semaines précédentes.

Si l’hypothèse de la généralisation de la semaine de quatre jours se confirme, et si la journée scolaire n’est pas réduite et repensée (et aussi l’année), l’école de la République sera encore davantage celle des enfants qui n’ont pas de difficulté majeure pour comprendre et apprendre. Dans un tel cadre, les enfants en souffrance ne pourront pas se réaliser comme des élèves qui se plaisent à l’école et réussissent, comme des êtres de communication, comme des acteurs sociaux et comme des « citoyens responsables ». La semaine de quatre jours est une forme larvée de maltraitance qui aggrave la « fracture sociale ».

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