Hôpitaux : les faux miracles de l’hostocomparateur.com…

Thierry Brun  • 23 juillet 2009
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Un « hostocomparateur » sur Internet qui fait jaser depuis le début du mois de juillet, une pétition adressée à Nicolas Sarkozy, la Fédération hospitalière privée (FHP) fait feu de tout bois depuis quelques mois au nom d’un sauvetage de la protection sociale. Petits et gros «mensonges», selon l’Union des familles laïques (Ufal).

Affiches dans les cliniques, pages de publicité dans la presse écrite, messages sur les radios, et surtout le lancement, il y a un mois d’un fameux « hostocomparateur » , la campagne de la Fédération hospitalière privée (FHP) ne passe pas inaperçue. Notamment parce qu’elle tape fort sur la question sensible des frais hospitaliers publics. Au point que l’Union des familles laïques (Ufal) a demandé le 21 juillet au gouvernement de réagir « face à l’imposture du site hostocomparateur.com et par la même occasion de ne pas cautionner le tapage publicitaire lancé à grands frais par la Fédération patronale de l’hospitalisation privée qui souhaite promouvoir le site qu’elle a elle-même créé » (http://www.ufal.info/mediacommunique/2,article,136,,,,,Hostocomparateur.com-publicite-mensongere-et-honteuse.htm). La Fédération hospitalière de France (FHF, hôpitaux publics) avait fortement réagi dès le 30 juin en dénonçant « la campagne de communication organisée par les cliniques commerciales pour obtenir une hausse de leurs tarifs » .

La FHP a en effet enfourché un vieux cheval de bataille qui consiste à dénoncer les écarts de tarifs entre hôpitaux publics et cliniques privées et à militer contre le report (de 2012 à 2018) de la convergence tarifaire entre les deux secteurs. Pour marquer les esprits, les patrons du privés ont créé ce qu’ils appellent un hostocomparateur sur Internet (www.hostocomparateur.com), qui plombe le service public hospitalier. La FHP et ses quelques 1 250 établissements hospitaliers privés en France s’est donné les moyens de cette bataille pour faire passer le message suivant :
« Notre modèle de protection sociale, fondé sur une solidarité sans faille et sur notre secteur hospitalier qui combine établissements publics et privés, est reconnu dans le monde entier comme étant un des plus performants et un des plus efficaces.Pourtant, aujourd’hui, ce modèle est en danger. Notre Sécurité sociale plonge chaque année dans un déficit abyssal. Des solutions simples aux effets immédiats existent » .

Comment ne pas être sensible à ces propos, d’autant qu’ils sont accompagnés d’un argument massue qui consiste à demander « aux pouvoirs publics de mettre en place un tarif unique pour ces prestations hospitalières standards. Nous avons distingué 50 actes médicaux et prises en charge – consultables sur l’hostocomparateur – qui pourraient, dans un premier temps, faire l’objet d’un même tarif, créant ainsi les conditions d’un nouveau modèle économique qui garantirait l’avenir de notre système de santé » . Ainsi, selon la FHP, « En un an, une telle disposition permettrait une économie de 1,4 milliard d’euros » .

Pour enfoncer le clou, l’hostocomparteur donne des exemples : « Qu’est-ce qui justifie encore qu’un accouchement coûte à la Sécurité sociale 3 140 euros à l’hôpital public et seulement 2 742 euros dans une clinique ? Pourquoi faire perdurer une telle inégalité de traitement, injustifiée et coûteuse ? Un accouchement, sans difficulté particulière, se déroule dans les mêmes conditions techniques, les mêmes contraintes et les mêmes obligations, qu’il soit effectué au sein d’un hôpital ou dans une clinique. De nombreux actes n’engendrent pas ou peu de recherche et ne portent en eux aucune spécificité sociale qui pourrait justifier un tarif adapté » .
Autre argument de la FHP : « Aucune raison ne justifie que des prestations hospitalières standards, que ce soit un accouchement, une prothèse de hanche ou une appendicectomie, soient moins rémunérées dans le secteur hospitalier privé que dans les hôpitaux publics. Toutes ces opérations se déroulent dans les mêmes conditions techniques, les mêmes contraintes et les mêmes obligations. Elles n’engendrent pas ou peu de recherche. Elles ne portent en elles aucune spécificité sociale » .

Ce miracle économique est démenti par l’Ufal qui considère que ce site « n’est qu’un pur outil de propagande de l’hospitalisation privée mais surtout de désinformation des citoyens. En effet, au moyen de ce site la FHP décline un honteux mensonge faisant croire d’une manière caricaturale aux citoyens qu’une intervention chirurgicale dans une clinique privée à but commercial pour les actionnaires coûterait soit disant moins cher à la communauté qu’une même intervention à l’hôpital public. De même, pour mieux tromper la vigilance des citoyens cette fédération patronale qui, rappelons-le, défend les intérêts des spéculateurs boursiers qui sont les fonds de pension américains et autres banques d’affaires détenant la plupart des cliniques privées en France, donne comme dénomination à son site hostocomparateur (comme hôpital), pour laisser entendre qu’il s’agit d’un site officiel des autorités sanitaires » .

Pourquoi une charge aussi lourde contre cette fédération patronale ? « Si les cliniques commerciales ont des tarifs souvent plus faibles, c’est parce qu’elles choisissent les pathologies les plus rentables et parce que les missions assurées par les hôpitaux publics ne sont pas correctement financées » , répond la Fédération hospitalière de France. Qui considère que les écarts tarifaires communiqués par la FHP sont « imaginaires » , « dans de nombreux autres cas car, contrairement aux affirmations, ils ne tiennent pas compte des honoraires médicaux (ainsi des soins palliatifs où l’écart est de 302 euros et non de 1585 euros) ou des examens d’imagerie ou de biologie dont le coût doit être ajouté aux tarifs des cliniques » . Avec cette précision de l’organisme représentant les hôpitaux publics : « Les dépassements d’honoraires facturés par les libéraux ont dépassé l’an dernier deux milliards d’euros, contre environ cent millions dans les établissements publics. Pour les Français, qui y seront soignés quel que soit leur revenu, c’est l’hôpital public qui est la solution la moins coûteuse » .

La FHP convoite donc les pathologies les plus rentables et s’est en effet bien gardée de publier sur son site le contenu d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la rémunération des médecins, daté de 2009. Ce rapport avait été commandé par la ministre de la Santé en février 2008 et a révélé que les médecins libéraux, exerçant en ville ou en clinique, ont cumulé un revenu d’activité annuel moyen déclaré aux impôts de 168 000 euros pour les radiologues, de 155 000 pour les chirurgiens et 147 000 pour les anesthésistes. Le rapport souligne que, outre la tarification des actes, « ces fortes disparités inter et interdisciplinaires sont aussi le résultat de l’impact de dépassements d’honoraires » . En chirurgie, ces derniers représentent en moyenne 31 % des honoraires, 43 % en stomatologie.

Grands oubliés de l’hostocomparateur, les pistes de l’Igas pour remédier aux dysfonctionnements qu’il a relevés : « Une refonte totale de la tarification des 7 200 actes médicaux afin de rééquilibrer les rémunérations entre spécialités » , le renfort de la transparence sur les tarifs, la régulation des dépassements d’honoraires et le contrôle des activités libérales à l’hôpital public via des « chartes de déontologie » dans chaque établissement.

Les informations disponibles sur la santé financière des cliniques privées ont fait apparaître des résultats forts intéressants , relevés par le Sénat dans un rapport de novembre 2008 sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009.
« Selon les études menées par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), le chiffre d’affaires des cliniques à but lucratif a connu une croissance moins dynamique en 2006 (dernière année pour laquelle sont disponibles des statistiques consolidées) qu’en 2005. Le chiffre d’affaires des cliniques soumises à la T2A a crû de 7,4 % en 2006 après une hausse de 10,1 % de l’année précédente » .

Selon la même étude, la rentabilité des 848 cliniques figurant dans l’échantillon représentatif s’établit à 3 % du chiffre d’affaires. « L’année 2006 profite surtout aux grandes cliniques dont la rentabilité avait doublé en 2004 et 2005 et demeure constante en 2006 » . La rentabilité financière des sociétés d’exploitation des cliniques (c’est-à-dire la mesure du revenu que les actionnaires perçoivent de l’entreprise) s’établit en 2006 à 13,5 %, certes en diminution de 2,1 % par rapport à l’année précédente, mais extrêmement attractives pour les investisseurs et actionnaires. D’autant plus que les perspectives de privatisation de la santé leurs sont très favorables.

Voici ce qu’en dit l’Ufal : « Non, les interventions chirurgicales dans les cliniques privées ne sont pas moins chères qu’à l’hôpital public qui assure sans exclusives et contrairement aux cliniques privées la prise en charge de tous les cas (interventions lourdes, maladies rares, formations des médecins, recherches, innovations thérapeutiques, etc.). L’hospitalisation privée, quant à elle, se spécialise uniquement dans les secteurs rentables ouverts par la 11ème version de la tarification à l’activité (T2A), largement influencés par le lobby financier et bancassurantiel. De même, l’Ufal souligne que l’argent versé l’hôpital par l’assurance maladie consécutivement aux soins prodigués aux patients ne va pas remplir les poches des spéculateurs boursiers et autres dirigeants des établissements privés qui peuvent être rémunérés par des stocks options et autres revenus issus des bénéfices réalisés sur le dos de l’argent public géré par l’assurance maladie » .

On comprend mieux maintenant pourquoi les gouvernements successifs n’ont jamais vraiment cherché à renflouer la Sécu, principal argument utilisé par la Fédération hospitalière privée ( « Le déficit de la Sécurité Sociale annoncé pour 2009 est supérieur à 20 milliards d’euros » ) pour justifier l’existence de son hostocomparateur. Et avancer l’hypothèse qu’ « une économie potentielle de 15 milliards d’euros en année pleine par la mise en œuvre d’un tarif hospitalier unique aux secteurs hospitaliers public et privé » , dans ses propositions présentées à la commission des comptes de la Sécurité sociale le 15 juin 2009.

Lire aussi l’article sur Rue89 : http://www.rue89.com/2009/07/01/hostocomparateur-les-cliniques-privees-defient-lhopital
Le Monde : http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/07/08/hopital-cliniques-la-guerre-des-tarifs-aura-bien-lieu12166403224.html
Les réactions de la FHF : http://www.fhf.fr/Informations-Hospitalieres/Espace-Presse/Communiques/Comparaison-des-hopitaux-et-des-cliniques-pas-les-memes-prestations-pas-les-memes-tarifs
http://www.fhf.fr/Informations-Hospitalieres/Dossiers/Communication/communication/l-hopital-public-un-atout-pour-la-france2

On recommande aussi la lecture de ce document de la Fédération hospitalière de France (hôpitaux publics) :

Temps de lecture : 9 minutes
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