Dans les coulisses du sommet de Copenhague

Patrick Piro  • 11 décembre 2009
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Pas facile de se représenter à quoi ressemble le sommet climat de Copenhague avant d’y avoir mis les pieds… Quand on aborde l’enceinte du Bella center, on n’a pas vraiment le sentiment de pénétrer dans le conclave chargé de sauver la planète (puisqu’on nous le dit). C’est plutôt un aéroport à grand trafic. Une vingtaine de lignes de portiques détecteurs de métal, avec personnel aguerri, cagettes plastiques pour s’y déballer, et de plus en plus. Une blague court : le réchauffement climatique justifiera qu’on s’y mette à poil bientôt. Dedans, une fois badgé électroniquement, ça grouille. Les costumes-cravates gris, ce sont des négociateurs gouvernementaux (peu de femmes). Bien qu’il s’agisse de leur territoire, ils sont minoritaires.

Illustration - Dans les coulisses du sommet de Copenhague

Puis il y a les agités, qui trimballent un trépied ou une caméra, des appareils photos ostensibles — du matériel, quoi : les journalistes. C’est plutôt la veste indéchirable, avec un air blasé ou accablé. Population respectable : 3 500 accréditations, et pas une de plus. À l’entrée, les hôtesses (là, ce sont des femmes) ont des consignes hyper-strictes face aux attardés de la presse qui tentent de jeter dans la balance qu’ils « auraient fait tout ce voyage pour rien ! » .

L’autre catégorie d’agités : les militants. La société civile a le droit d’entrer au Bella center. D’ailleurs, c’est la salle des stands que l’on traverse avant d’accéder aux salles de travail. Des ONG, mais aussi le business vert, on ne se refait pas. Le dress-code des militants, c’est T-shirts à couleurs vives. Il faut que ça pète, que ça fasse du bruit. « Don’t braket our future ! » ; ne mettez pas notre avenir « entre crochet » — c’est l’expression qui désigne les points qui ne font pas consensus chez les négociateurs (bref, le principal encore).

Enfin, pour une partie seulement des militants : ce n’est pas pour l’image que les grosses ONG ont déplacé des équipes, importantes. C’est pour suivre les plénières et les dizaines de groupes de travail à la minute près. Ils produisent des synthèses, posent des questions hyper pointues et gênantes à Yvo de Boer, secrétaire général de la conférence. « Sur le point 20 du chapitre xxx du protocole, confirmez-vous que blablabla… ? » . « Franchement, je ne sais pas… »

Dans le grand hall central, un personne sur deux tapote sur un ordinateur portable. L’écran plat, prothèse indispensable de tout homo bellicentrus, toute catégorie confondue. Derrière le côté melting-pot sympa, ça bosse. C’est bien sûr encore assez confus, on est au début de la conférence.

Illustration - Dans les coulisses du sommet de Copenhague

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Samedi, les choses sérieuses s’enclenchent, un cran au-dessus, avec l’arrivée des ministres. Yvo de Boer montre donc sa face positive de convenance, il y aurait « des avancées » — sur le transfert de technologies propres vers le Sud, par exemple. Mais tout cela, c’est pour alimenter l’immense machine à produire des messages vers l’extérieur, qui a soif : il paraît que « Copenhague » a été le mot-clef le plus tapé sur le moteur de recherche Google, ces derniers jours. Une époque passe, on regarde avec une certaine compassion les piles de papiers : rapports, charte, prises de positions, numéros spéciaux, etc. Il en restera sûrement beaucoup, et peu seront lus. Internet règne.

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Le négociateur en chef de l’Union européenne reconnaît que ce sont les chefs d’État qui pourront faire sauter les verrous. Bien sûr. Donc pas avant le 18 voire le 19. Pierre Radanne, conseiller des pays africains, déboule agacé. « C’est très mal barré… » On frémit à l’énoncé de la vérité. Laquelle ? « les États-Unis ne bougent pas d’un poil » . Aïe, on a cru instant à la mort de Johnny, la France entière est à son chevet. Il paraît qu’il s’est réveillé de son coma artificiel. Le sommet peut continuer.

Il ne sera pas interrompu par le Klimaforum, le repaire des mouvements sociaux et des militants radicaux à 10 minutes du Bella center (on y reviendra, c’est plus cool qu’au Bella center, et on y mange mieux). « Don’t seattle Copenhagen ! » C’est l’un des slogans qui y courent- : Ne faites pas de Copenhague un nouveau Seattle. Dans la ville étasunienne, la conférence du millénium de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avait été mise en échec par les manifestants dans la rue. Pas de tendresse particulière pour les délégations gouvernementales qui pinaillent la moindre virgule au Bella center. « Mais pour une fois qu’il y a une attention médiatique comme jamais sur les problèmes qui nous concernent, n’allons pas livrer aux médias des images de vitrines brisée ! » , réclame Naomi Klein, l’icône altermondialiste.

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Ici, c’est Tuvalu, 15 000 habitants, qui menace de casser la baraque. Oh, bien symboliquement. Au Bella center, les trois délégués et leur négociateur ont demandé la suspension de la conférence ! Motif : il faut sortir de Copenhague avec un « truc » contraignant, raz-le-bol des envolées compassées. Tuvalu, poussière d’îlots du Pacifique, sera peut-être la première nation à disparaître pour cause de hausse du niveau des mer. Stupéfaction de la plénière, interruption, 200 T-shirt colorés immédiatement rassemblés devant la salle. Yvo de Boer y est revenu hier. « La proposition de Tuvalu est toujours sur la table » . On n’est pas obligé de le croire.

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