La SNCF et la RATP orchestrent la dénonciation de la « Fraude » pour éluder la question de la gratuité et de l’augmentation

Claude-Marie Vadrot  • 17 janvier 2011
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La RATP et la SNCF, pour ne citer que les opérateurs les plus importants, font actuellement parvenir plus ou moins discrètement à la presse, des documents soi-disant confidentiels qui permettent à des médias de s’étendre longuement sur la progression de la fraude et de la dénoncer. Qu’il s’agissent des groupes dont les membres s’associent pour constituer des « fonds de garantie » destinés à payer les amendes, des voyageurs qui omettent de valider leurs tickets en jouant sur les contrôles aléatoires, de ceux qui sautent par dessus les portillons de plus en plus sophistiqués ou d’autres qui prennent un passe Navigo minimal alors qu’ils parcourent plusieurs zones, les voyageurs de la région parisienne, de Marseille, de Bordeaux, de Nantes ou de Lille sont de plus en plus nombreux à tenter de refuser de payer leur transport. Soit qu’ils expriment plus ou moins consciemment une position idéologique, soit qu’ils n’aient tout simplement pas les moyens d’acquitter des tarifs de péage de plus en plus élevés par rapport à leurs ressources. La SNCF, la RATP, les régies de transports publics ou privés, communiquent de plus en plus agressivement sur ce qu’ils considèrent comme une « fraude », mais se gardent bien d’avouer l’ampleur de ce refus qui atteint 80 % pour une partie des bus de la Région parisienne ou de Lyon, plus de 30 % dans le métro parisien et 40 % à Marseille tous types de transport en commun confondus.

Si l’Etat et des villes cherchent à faire montrer du doigt ce refus de paiement, c’est que les perspectives de la privatisation de tous les transports en commun dits « publics » se précisent, privatisation qui implique la notion de « bénéfices ». La SNCF en est une parfaite illustration.

La question posée directement et indirectement par les voyageurs qui renâclent à verser leur obole est claire : pourquoi les transports publics ne sont-ils pas tout simplement gratuits ou ne relèvent-ils pas d’un versement symbolique d’une pièce de quelques centimes d’euros ouvrant les portillons qui ont pour seul avantage de permettre de compter le nombre des voyageurs et de régler le nombre et la fréquence des autobus, des métros, des trains de banlieue ou des trams en fonction de la fréquentation ? Quant à la SNCF Grande Lignes, le retour à la facturation kilométrique, quel que soit le train, serait un premier retour à l’équité envers tous les citoyens.

Il faudra bien qu’un jour toutes les sociétés de transports livrent au public le coût de l’émission des billets ou des tickets, des systèmes sophistiqués de contrôle et de surveillance, des caméras de vidéosurveillance et des équipes de contrôleurs. Sans oublier pour ces derniers le stress qu’ils subissent et celui qu’ils font subir aux voyageurs. Et il faudrait mettre cette dépense grandissante en face de ce que rapportent les tickets et les billets. D’autant plus que la gratuité permettrait de toute évidence d’augmenter le recours à des transports traités enfin comme un service public. Mais, s’ils existent, ces calculs restent confidentiels, de peur qu’ils mettent en péril la religion du paiement et déstabilisent les nombreux projets de privatisation. La suppression du prix de plus en plus élevé des systèmes de contrôle permettrait notamment de dégager des moyens humains pour assurer la tranquillité dans des transports de plus en plus privés de personnel.

Pour se borner à l’exemple français, il ne faut pas oublier qu’il existe déjà en France 14 villes qui ont instauré la gratuité. Qu’il s’agisse de Libourne, de Compiègne, de Châteauroux, de Gap, d’Aubagne ou de Vitré, ces communes n’ont pas été mise en faillite par ces décisions qui, pour certaines, remontent à prés de dix ans. D’autres petites communes comptant moins de 20 000 habitants l’ont fait plus discrètement. La conséquence, logiquement, la plus visible ayant été que, partout, la fréquentation des transports en commun a augmenté de 10 à plus de 30%. Mais il s’agit là d’un sujet tellement tabou et contraire à nos mentalités qu’à Lyon, les seules associations qui s’opposent à gratuité à laquelle songe la municipalité sont les associations d’usagers des transports. Comme si elles craignaient que leurs transports en commun soient envahis, quelle horreur, par les plus pauvres de leurs concitoyens…Sans oublier que les entreprises qui bénéficient du transport de leurs personnels pourraient contribuer plus généreusement aux coûts de fonctionnement.

Aux Etats Unis, on crierait volontiers au « communisme » alors que les transports publics, au moins en France, sont une conquête de toutes les catégories de salariés.

Toute cette campagne de communication sur la fraude est évidemment également destinée à faire "avaler" l'augmentation de 2, 3 % prévue pour février. Augmentation supérieure à l'inflation "officielle".
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